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La terre n'a pas 6000 ans, et alors? ♥♥♥


Présentation

(Benoît Hébert)

Antoine Bret est Professeur à l’Université Castilla-La Mancha, en  Espagne. Ses recherches portent sur la physique des plasmas, avec applications en fusion thermonucléaire inertielle ou en astrophysique. Il a aussi été « Visiting Scholar » au département d’astrophysique de l’Université de Harvard en 2012. Ingénieur Supélec et docteur en physique de l’Université d’Orsay, il est auteur ou co-auteur de plus de 80 articles dans des revues à comité de lecture. Il a aussi été pasteur d’une église évangélique à Madrid. Il est l’auteur de « The world is not 6000 years old. So what?” – Sous presse chez Wipf&Stock, ouvrage dans lequel il traite de la question de l’âge de l’univers.Découvrez en davantage sur  antoinebret.com

Mais les lois de la physique, c’est pas fait pour changer?

 

Il s’agit là d’un argument qui revient souvent dans le débat créationniste : certes, concèdera-t-on peut-être, la science montre que l’univers est vieux. Mais la science ne progresse-t-elle pas ? De futures avancées ne pourrait-elle pas établir que le monde est jeune ?

Et bien non. Même si les lois de la physique qui dévoilent un monde vieux sont appelées à être dépassées, elles permettent toutefois de parvenir à un certain nombre de conclusions définitives. L’idée fondamentale ici est qu’une nouvelle loi ne remplace pas la précédente. Elle l’englobe. Examinons ce processus à l’aide des lois de la gravitation.

Commençons avec Kepler. Au début du XVIIe siècle, Kepler, donc, déduit de ses observations que les planètes décrivent des orbites elliptiques autour du soleil. Ils arrivent également à deux autres conclusions, mais restons-en là pour notre propos.

Puis vient Newton. A la fin du même siècle, il établit une théorie mathématique de la gravitation et du mouvement qui « accouche » tout naturellement des lois de Kepler. Mais la théorie de Newton explique de surcroit la chute d’une pomme ou les marées. La théorie Newtonienne englobe donc celle de Kepler et tire sa légitimité de sa confrontation réussie avec l’expérience. Si la loi de Kepler vient de l’observation et que Newton la reproduit, c’est que l’observation valide également Newton.

De cette validation expérimentale surgira une confiance envers la dynamique Newtonienne qui permettra de découvrir des planètes inconnues. Vers la fin du XVIII siècle en effet, Laplace calcule l’orbite de la planète Uranus en tenant compte de l’influence de toutes les planètes connues. Il parvient à un résultat qui ne cadre pas avec l’observation. Les mathématiciens décident pour commencer de « faire confiance à Newton ». Ils calculent donc ce que devraient être les caractéristiques d’une planète encore inconnue pour que son influence gravitationnelle Newtonienne explique les anomalies de l’orbite d’Uranus. Parvenus au bout des calculs, ils se tournent vers les astronomes et leur disent quelque chose comme « observez à tel endroit et à telle heure. Vous devriez trouver une planète ». Ainsi fut découvert Neptune en 1846.

Les choses en restent là jusqu’à ce que l’on découvre, vers la fin du XIXe siècle, que l’orbite de Mercure est elle aussi affligée d’une anomalie « extra-Newtonienne ». On essaye tout d’abord la même recette que pour Uranus, en supposant l’existence d’une planète dont l’action gravitationnelle à la Newton expliquerait les choses. Dénommée pour un temps « Vulcain », l’hypothétique planète est oubliée faute d’avoir été découverte.

Il faut bien se rendre compte que l’anomalie de Mercure est infime : l’ellipse que forme son orbite ne se ferme pas exactement, de sorte qu’elle tourne de 0.011 degrés par siècle. L’angle sous lequel on voit une balle de tennis depuis 34 kilomètres ! Mais bien loin de se dire « bon, c’est quand même pas mal », les physiciens savent bien que si la théorie de Newton n’arrive pas à l’expliquer, c’est que quelque chose cloche.

Il faudra attendre Einstein pour résoudre l’énigme. Il sait qu’il doit modifier Newton puisqu’on n’a pas pu sauver la gravitation Newtonienne  avec une planète de plus. Sa démarche aboutira en 1915 avec la Relativité Générale. Quelles modifications apporte-t-elle ? La théorie d’Einstein, par exemple, prédit que la gravitation se propage à la vitesse de la lumière. Celle de Newton prévoyait une transmission instantanée. Si le soleil disparaissait subitement, Newton prédit que la terre cesserait instantanément d’orbiter autour de l’endroit qu’il occupait. Einstein dit qu’il faudrait environ 8 minutes pour que cela se produise.

Einstein prédit aussi des effets non Newtonien lorsque que l’on se rapproche d’un fort champ gravitationnel. C’est pour cela que l’anomalie Newtonienne de Mercure, qu’Einstein explique parfaitement, se fait sentir pour la planète la plus proche du soleil. Pour les planètes plus éloignées, Einstein doit nécessairement redonner Newton. Pourquoi ? Parce que l’observation donne raison à ce dernier. Einstein savait donc très bien que pour des planètes éloignées du soleil, l’expression mathématique de sa loi de gravitation devait rejoindre celle de Newton. L’avènement de la théorie d’Einstein ne peut pas invalider toutes les observations passées et annuler les accords déjà établis entre la théorie de Newton et l’expérience.

La théorie d’Einstein corrige celle de Newton dans les limites où cette dernière ne « marchait » pas, mais les deux théories doivent nécessairement se fondre partout où Newton fonctionne.

En bref, Einstein englobe Newton, qui à son tour englobe Kepler. La théorie d’Einstein est-elle la dernière ? Les physiciens savent bien que non, ne serait-ce que parce dans les situations où la gravitée devrait jouer un rôle à l’échelle microscopique (comme pour le Big-Bang), on aurait besoin d’une théorie « quantique » de la gravitation… qui n’existe pas encore. Les mêmes physiciens savent en revanche une chose : ce qui vient après Einstein doit nécessairement redonner Einstein pour Mercure, par exemple, et Newton pour les autres planètes. L’un des attraits de la théorie de cordes, possible successeur de la Relativité Générale, et précisément qu’elle accouche spontanément des équations d’Einstein dans les circonstances adéquates.

Que peut-on conclure de tout cela ? Oui, la science progresse. Mais les théories successives ne remplacent pas les précédentes, comme un gouvernement peut en remplacer un autre et abroger des lois votées par son prédécesseur. Le modèle des poupées russes est plus adapté. Les théories successives s’englobent les unes les autres, chacune ayant un domaine d’application plus large que la précédente.

Newton fonctionne tant que le champ de gravitation n’est pas trop fort. Einstein fonctionne tant que la mécanique quantique n’affecte pas la gravitation. La théorie suivante, que beaucoup cherchent actuellement, a pour ambition de fonctionner aussi quand les effets quantiques entrent en jeu. Sera-t-elle la dernière ? Personne ne le sait. Mais quoi qu’il en soit, on exigera d’elle qu’elle redonne Newton et Einstein dans leurs domaines de validité respectifs.

C’est en ce sens que les lois de la physique apportent des réponses définitives, tout en continuant d’évoluer.  Si donc, sans sortir en rien (loin s’en faut) du domaine de validité qu’on leur connaît par l’expérience, elles nous disent que le monde est vieux, c’est que les futurs lois qui les engloberont devront conclure exactement la même chose.

 

Laissons le mot de la fin à Einstein et Infeld,

« En nous servant d’une comparaison, nous pouvons dire que la création d’une nouvelle théorie ne ressemble pas à la démolition d’une grange et à la construction d’un gratte-ciel. Elle ressemble plutôt à l’ascension d’une montagne, où l’on atteint des points de vue toujours nouveaux et toujours plus étendus, où l’on découvre des connexions inattendues entre le point de départ et les nombreux lieux qui l’environnent. Mais le point de départ existe toujours et demeure visible, même s’il semble plus petit et forme une infime partie de l’ample perspective acquise par la maîtrise des obstacles lors de notre aventureuse  ascension.  » (Einstein et Infeld, L’évolution des idées en physique)


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