Article 4 sur un total de 12 pour la série :

La terre n'a pas 6000 ans, et alors? ♥♥♥


Présentation de l’auteur

Antoine Bret est Professeur à l’Université Castilla-La Mancha, en  Espagne. Ses recherches portent sur la physique des plasmas, avec applications en fusion thermonucléaire inertielle ou en astrophysique. Il a aussi été « Visiting Scholar » au département d’astrophysique de l’Université de Harvard en 2012. Ingénieur Supélec et docteur en physique de l’Université d’Orsay, il est auteur ou co-auteur de plus de 80 articles dans des revues à comité de lecture. Il a aussi été pasteur d’une église évangélique à Madrid. Il est l’auteur de « The world is not 6000 years old. So what?” – Sous presse chez Wipf&Stock, ouvrage dans lequel il traite de la question de l’âge de l’univers. Découvrez en davantage sur  antoinebret.com.

Les journaux à comité de lecture

 

Tandis que j’écris ces lignes, en mars 2014, les journaux du monde entier relayent la découverte des traces d’ondes gravitationnelles primordiales dans le rayonnement de fond cosmique. Courant 2008, lorsque le Grand Collisionneur de Hadrons du CERN à Genève allait être inauguré, de nombreux journaux se firent l’écho du risque que cette machine puisse produire des trous noirs capables d’engloutir la terre. En 2010, un ardent partisan d’une lecture littérale de la Genèse impliquant un univers vieux de 6000 ans, suggérait que la lumière d’étoiles distantes aurait pu nous parvenir naturellement (sans miracle) en moins de 6000 ans, si elle va plus vite en allant vers la terre qu’en s’en éloignant.

Comment faire le tri quand on n‘est pas expert ? Un physicien saura que « les équations de Maxwell sont invariantes par rotation », ce qui, entre autres raisons, interdit à la lumière d’aller plus vite dans un sens que dans l’autre. Il saura aussi pourquoi la machine du CERN ne va pas générer de catastrophe. Il saura enfin que cette histoire d’ondes gravitationnelles primordiales est à prendre au sérieux.

Mais comment fait-on si l’on n’est pas physicien ? Si la publication dans les journaux ou sur le web n’est pas une garantie, comment distiller le crédit qu’on accordera à telle ou telle nouvelle scientifique ? Un bon baromètre pourrait être la réponse à la question suivante : la chose a-t-elle été publiée dans une revue à comité de lecture ?

Que sont donc ces revues à comité de lecture ?

C’est le sujet de cet article.

 

Les journalistes de la presse grand public sont rarement à même d’évaluer le bien fondé des informations scientifiques qu’ils communiquent. Mais quand les scientifiques veulent informer leurs pairs de leurs progrès récents, ils ne se tournent pas vers la presse grand public. Ils se tournent vers les revues à comité de lecture. Comme nous allons le voir, ce système éditorial comble la principale lacune du reste de la presse : tout ce qui s’y publie a été vérifié par des experts capables d’en évaluer le sérieux. Voici comment ça marche.

 

Supposons que je sois un astrophysicien qui vient de détecter quelque chose de très important. Je vais écrire un article expliquant le plus précisément possible comment je m’y suis pris, et quels sont mes résultats. Puis j’enverrai l’article à une revue à comité de lecture. Les plus célèbres sont Nature ou Science, mais il en existe des milliers d’autres, couvrant tous les domaines du savoir.

 

L’éditeur de Nature reçoit donc mon article. Il va le lire, mais il sait très bien qu’il n’est pas compétent pour le juger. Si j’ai effectué mes mesures depuis le pôle sud, l’éditeur sait très bien qu’il n’a aucune idée du fonctionnement d’un télescope dans un tel environnement. Il est aussi probable qu’il comprenne à peine ce que j’ai mesuré. Conscient donc de ses limitations, il va envoyer mon travail à au moins deux experts, qui eux, seront à même de tout comprendre.

 

Ces experts vont lire mon travail, et répondre pour l’éditeur aux questions suivantes :

  •  Mon travail contient-il des erreurs ? Me conclusions sont-elles fondées ? Il se peut par exemple que j’ai utilisé un télescope du type « bournoufle du grand berdinière »[1], quand tout astronome sait bien que ces appareils fonctionnent très mal quand il fait froid. Je peux aussi m’être trompé dans mes analyses statistiques, si bien que mes conclusions sont erronées.  Bref, je suis à la merci d’un grand nombre d’erreurs que seul un spécialiste de mon domaine saura détecter.

 

  • Mon travail apporte-t-il quelque chose de nouveau ? Une bonne revue à comité de lecture s’efforce de publier des recherches inédites. Il s’agit de s’assurer que je n’ai pas redécouvert l’eau tiède. Ici également, l’implication d’un expert est nécessaire car il faut du temps et de l’expérience pour savoir ce qui se sait, et ce qui ne se sait pas, dans un domaine de recherche particulier.

 

Après s’être fait un avis, les experts consultés vont rédiger un rapport sur mon travail et l’envoyer à l’éditeur. C’est en fonction de ces rapports que ce dernier prendra la décision de me publier ou non. Si la réponse à l’une des 2 questions ci-dessus est négative, il est probable qu’il m’informera poliment qu’il ne va pas publier mon travail. En de rares occasions, des rapports dithyrambiques peuvent permettre une publication immédiate. Il est fréquent que tout en étant positifs, les experts exigent quelques retouches. L’éditeur m’en fera donc part, me laissera le temps d’effectuer les modifications demandées, puis renverra mon œuvre aux experts pour savoir ce qu’ils pensent de mes corrections.

Il arrive bien sûr que les avis des experts divergent, auxquels cas on en appellera un troisième, puis un quatrième si cela ne suffit pas (mon record est 5). Le processus peut prendre pas mal de temps, mais débouche, en tout état de cause, sur une publication qui aura été passée au crible d’yeux exercés. Un élément essentiel du système mérite d’être ici signalé : je ne sais pas qui sont les experts qui évaluent mon travail. Je les connais peut-être, mais on ne m’a pas dit leur nom. Si donc ils jugent mon article pitoyable, cet anonymat leur permet de dire vraiment ce qu’ils pensent sans crainte de représailles.

A suivre…

[1] Expression sans aucun sens empruntée au célèbre sketch du Schmilblick, de Pierre Dac.


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