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La terre n'a pas 6000 ans, et alors? ♥♥♥


Antoine Bret est Professeur à l’Université Castilla-La Mancha, en  Espagne. Ses recherches portent sur la physique des plasmas, avec applications en fusion thermonucléaire inertielle ou en astrophysique. Il a aussi été « Visiting Scholar » au département d’astrophysique de l’Université de Harvard en 2012. Ingénieur Supélec et docteur en physique de l’Université d’Orsay, il est auteur ou co-auteur de plus de 80 articles dans des revues à comité de lecture. Il a aussi été pasteur d’une église évangélique à Madrid. Il est l’auteur de « The world is not 6000 years old. So what?” –  chez Wipf&Stock, ouvrage dans lequel il traite de la question de l’âge de l’univers.

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On nous cache tout, on nous dit rien

 

Je souhaiterais exposer dans cet article[1] quelques réflexions sur la théorie de la conspiration en vigueur dans les cercles créationnistes « scientifiques ».

D’où vient cette idée de conspiration massive ? Du rejet unanime et systématique de la part de la communauté scientifique de la possibilité d’un univers jeune, c’est-à-dire, ayant seulement entre 6 et 10 000 ans. Si comme le prétend le créationnisme scientifique, il existe des preuves observationnelles d’un univers jeune, si la « véritable » science va dans ce sens, comment donc expliquer que sur les 827 313 articles parus à ce jour dans les journaux à comité de lecture Nature, Science et Astrophysical Journal[2], aucun n’ait jamais supporté la théorie d’un univers jeune ?

La seule explication pourrait résider dans l’existence d’une conspiration massive de la communauté scientifique pour occulter les preuves en question. On voit qu’ici, la conspiration n’est pas une option. C’est une nécessité. Certes, on pourrait aussi imaginer que les scientifiques « officiels » sont des simplets incapables de reconnaitre l’évidence. Mais comme les sites créationnistes regorgent de pages exposant des preuves supposées irréfutables, l’excuse de la bêtise ne tient pas trop. Conspiration, donc.

 

Que dire de tout cela ? On peut commencer par objecter qu’une nouvelle de cette ampleur serait très difficile à cacher. Une découverte de cette taille, ramenant l’âge de l’univers de 13.8 milliards d’années à 10 000, assurerait pour le moins le prix Nobel à son découvreur, et mettrait par terre tout ce que l’on sait des lois de la physique. L’annonce serait-elle de toute façon censurée sans discussion ? Plutôt non. Pas plus tard qu’en 2011 par exemple, la communauté scientifique a discuté de manière très sérieuse la possibilité que les neutrinos aillent plus vite que la lumière. De fait, on peut recenser une trentaine d’articles sur le sujet depuis 2011. Et pourtant, l’idée que quoi que ce soit puisse aller plus vite que la lumière est, pour un physicien, un monumental pavé dans la mare.

Comme il a déjà été expliqué sur ce site, la littérature à comité de lecture, où se déroule le débat scientifique, ne censure pas les conclusions. Elle censure les méthodes et les raisonnements erronés. L’expérience des neutrinos avait été montée avec le plus grand sérieux. C’est justement pour cela qu’il a fallu du temps pour trouver l’erreur de mesure (il y en avait une), et conclure que non, ces neutrinos n’allaient pas plus vite que la lumière. La raison pour laquelle les preuves « scientifiques » d’un univers jeune ne font l’objet d’aucun débat scientifique, c’est qu’il est très facile de les déboguer à la première lecture.

 

Mais on pourrait élever une autre objection contre la théorie de la conspiration. Elle implique en effet une démarche consciente, soutenue dans le temps, des scientifiques du monde entier pour publier des résultats allant à l’encontre d’une lecture littérale de la Genèse. Nous, physiciens, astrophysiciens et consort, nous rendons-nous donc chaque matin dans nos laboratoires en méditant ce que nous y feront pour nuire à la Bible ? J’espère ne choquer personne ici par une formule plutôt directe,  mais sincèrement, on s’en fiche complètement.

Il existe une foule de raisons pour lesquelles nous choisissons un sujet de recherche plutôt qu’un autre : Ai-je la capacité d’en venir à bout ? Est-il intéressant pour moi, pour la communauté scientifique, pour l’industrie, pour la société ? Trouverai-je facilement un financement ? Pourrai-je trouver des étudiants en thèse qui voudront travailler avec moi ? La liste est longue. Mais à aucun moment n’entre en ligne de compte l’adéquation de ce que nous trouverons avec telle ou telle lecture de la Bible. C’est réellement le cadet de nos soucis.

L’idée d’une terre, et donc d’un univers, beaucoup plus vieille que 6 ou 10 000 ans remonte au milieu du XVIIIe siècle[3], minimum. Depuis, les observations et les raisonnements de centaines de milliers (millions ?) de géologues, physiciens, astrophysiciens, j’en passe… ont convergé vers la même conclusion : l’univers n’a pas quelques milliers d’années. Passer de 13.8 milliards à 10 000 ans revient à diviser son âge par 1.38 millions. C’est comme si l’on affirmait que la Russie mesure 5 mètres, d’est en ouest… Il est insensé d’imaginer qu’une telle conspiration, entre personnes d’époques et de cultures si différentes (les scientifiques ne sont pas tous occidentaux), puisse se perpétuer depuis plus de 250 ans.

 

Il n’y a pas de conspiration. On ne nous cache pas tout, et on ne nous dit pas rien. On pourra éventuellement se raccrocher à l’hypothèse, impossible à tester, que Dieu a créé le monde avec une apparence d’âge. Mais les apparences sont bien là. Quant au créationnisme « scientifique » qui prétend montrer le contraire par des moyens «scientifiques », ces mots de CS Lewis en constituent une description assez fidèle : « une science dévoyée dans les intérêts de l’apologétique serait un péché et une folie »[4].


[1] Le titre vient d’une chanson de Jacques Dutronc.

[2] Pour ne citer que ces trois-là. Le nombre d’articles vient de la base de données « ISI Web of Knowledge », consultée le 15 mai 2014. J’ai aussi demandé à la base de me retrouver parmi tous ces articles ceux qui comportent l’expression « young earth » ou « young universe » dans leur titre. J’ai reçu en retour une liste de 13 articles, dont aucun ne traite des preuves scientifiques d’un univers jeune.

[3] Voir Hubert Krivine, La Terre, des mythes au savoir, Cassini, 2011,p. 40.

[4] “Science twisted in the interests of apologetics would be sin and folly”. CS Lewis, God in the Dock: Essays on Theology and Ethics, Eerdmans Publishing Co, 1972, p. 93.


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