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Congrès Bible et science Mulhouse 2022 le point sur l'âge de la terre


Introduction (Science & Foi)

Le congrès Bible et science de Mulhouse les 28 et 29 oct 2022 qui tente de contester les données scientifiques sur l’âge de la terre n’a pas manqué de faire réagir des spécialistes du domaine

A l’Institut de Physique Nucléaire et de Physique des Particules du CNRS, plusieurs équipes travaillent à toujours améliorer des techniques de datation nucléaire qu’elles utilisent dans le cadre de collaborations pluridisplinaires. Vincent Breton travaille depuis 30 ans avec ces équipes de passionnés et passionnées.

Nous le remercions pour sa contribution permettant au grand public de connaître de quelle manière les chercheurs travaillent concrètement dans le domaine de la datation géologique et pourquoi on peut affirmer que ces méthodes sont fiables avec des marges d’erreur connues et maitrisées.

Les datations géologiques comment ça marche ?

Les datations géologiques sont le résultat d’un consensus. Aucune méthode n’est infaillible, toutes ont leur plage de validité, leurs points forts et leurs points faibles. C’est la comparaison des mesures qui construit le consensus. Remettre en question les estimations de l’âge de la terre et des évènements géologiques qui jalonnent son histoire implique de remettre toutes les méthodes de datation simultanément en cause. Or celles-ci reposent sur des disciplines scientifiques distinctes (archéologie, dendrochronologie, géochimie, palynologie, physique, ,…). L’analyse des décalages entre les datations lorsqu’ils existent permet d’améliorer leur précision. En effet, quel que soit l’échantillon, roche, sédiment, météorite, matière organique, poterie, sa datation va reposer sur le croisement de mesures utilisant des méthodes indépendantes. Chaque méthode va apporter une estimation de l’âge de l’échantillon qui sera affectée d’une incertitude qui reflète la précision de la méthode dans ce contexte spécifique.  

Aucune méthode de datation n’est absolue ou infaillible. Chacune va s’appliquer sur une plage temporelle et reposer sur un ensemble d’hypothèses et de mesures qui seront une source d’incertitude.  C’est le croisement des mesures qui permet de proposer un consensus sur l’âge de l’échantillon : à ce consensus sera associée une barre d’erreur qui reflète la précision des mesures et le contrôle des incertitudes. Ce consensus peut être la moyenne des mesures si les méthodes sont comparables en termes de fiabilité et de précision. Si une méthode est manifestement mieux adaptée pour mesurer l’âge d’un certain type d’échantillon, elle sera utilisée de façon privilégiée. La datation d‘un échantillon doit donc toujours être accompagnée d’une barre d‘erreur reflétant l’incertitude sur cette datation.

Explosion nucléaire et Cesium 137, quel rapport avec le vin ?

Connaître la date d’un évènement permet de dater certains échantillons. Par exemple, la catastrophe de Tchernobyl a relâché dans l’atmosphère du Césium 137 qui s’est déposé dans les sédiments de tous les lacs d‘Europe. Le Césium 137 est un isotope du Césium qui n’existe pas à l’état naturel. Il est principalement produit lors de la fission de l’uranium dans les explosions et réacteurs nucléaires. Le Césium 137 est un noyau radioactif qui émet une raie de lumière de très haute énergie (662000 eV[1]) facilement détectable dans un spectromètre, instrument de mesure couramment utilisé en physique nucléaire.

activité du Cs137 dans l’atmosphère de 1950 à 2000

La présence du Césium 137 dans l’atmosphère n’est détectable dans l’hémisphère Nord que depuis les essais nucléaires aériens dans les années 50. Le vin produit depuis les années 50 contient des traces de ce radioélément. On a ainsi pu démasquer des faussaires qui avaient menti sur la date de bouteilles millésimées[2].

Le grand avantage de cette technique est qu’elle est non destructive car le rayonnement émis par le Césium 137 passe aisément à travers le verre de la bouteille pour être ensuite détecté. Au-delà du vin, le Césium 137 permet aussi de dater les sédiments au fond d‘un lac : les sédiments déposés avant les années 50 ne contiennent aucun Césium 137 et ceux déposés dans les mois qui ont suivi la catastrophe sont beaucoup plus enrichis en Césium 137 que le reste de la carotte de sédiments.

Datation d’une éruption volcanique

Croiser les données de l’archéologie, du radiocarbone et de la dendrochronologie (cernes des arbres)

Dater un échantillon permet souvent de dater l’évènement qui lui a donné naissance. Dater un échantillon de lave permet de dater l’éruption qui a produit cette lave. Intéressons-nous maintenant à un évènement qui a bouleversé l’antiquité en Méditerranée : l’éruption minoénne du Santorin. Les Minoéens étaient une puissante civilisation maritime du monde méditerranéen de l’âge du Bronze et l’éruption de Santorin a bouleversé leurs routes commerciales et leurs infrastructures.

Situé sur l’arc volcanique au Sud de la Mer Egée, le Santorin est un volcan qui a connu une éruption majeure au cours du IIème siècle avant Jésus-Christ. De 40 à 80 km3 de magma ont été éjectés du volcan sous forme de laves et de cendres. Le port d’Akrotiri situé sur l’île a été recouvert sous des mètres de cendres brûlantes tandis qu’un gigantesque tsunami submergeait les côtes de la Crête, atteignant les rivages de l’Est de la Méditerranée.

L’évènement a été et fait toujours l’objet de recherches scientifiques intenses sur les plans archéologiques et paléoenvironnementaux parce qu’il fournit un marqueur géologique qui, s’il est daté précisément, permettrait de synchroniser l’histoire de l’âge de bronze en Egypte, au Moyen-Orient et autour de la mer Egée. Mais sa datation précise demeure problématique à cause de différences entre les estimations tirées des deux méthodes utilisées de façon privilégiée, la datation au Carbone 14 et la datation archéologique.

Nous n’allons pas revenir sur le principe de la datation au Carbone 14, abondamment documentée et très bien expliquée sur ce site par exemple [3]. Les mesures du radiocarbone des légumineuses et des céréales enterrées directement sous les dépôts d’éruption et d‘une branche d’olivier enfoui dans ces dépôts placent l’éruption dans la seconde moitié du 17ème  siècle avant notre ère. De leur côté, les archéologues la situent au 16ème siècle, à partir des poteries trouvées dans la ville ensevelie.

Ce décalage d’environ un siècle a fait l’objet d‘une abondante littérature pour analyser l’origine du désaccord, débouchant sur une amélioration de la calibration entre la datation au Carbone 14 et la dendrochronologie sur la période concernée et une réévaluation de la date de l’éruption[4]. Du côté des archéologues, les preuves indiquent que l’éruption s’est produite après le début du Nouveau Royaume en Égypte, qui, selon les tenants de la chronologie traditionnelle, se situe vers 1550 à 1500 avant notre ère, bien que des arguments aient été présentés pour déplacer le début de cette période dès environ 1570 avant notre ère.

Croiser les données du radiocarbone et de la thermoluminescence + l’étude des pollens

Nous allons maintenant nous intéresser à des volcans plus proches de nous : ceux de la Chaîne des Puys en Auvergne. Leurs éruptions sont trop anciennes pour que des vestiges archéologiques puissent être utilisés pour la dater comme dans le cas de l’éruption minoénne du Santorin. Comme ces éruptions ont détruit des forêts, il est possible d‘utiliser à nouveau la datation au radiocarbone des bois brûlés que l’on retrouve à l’intérieur ou sous les coulées. Le travail de collecte et de datation des arbres carbonisés par les éruptions des volcans de la chaîne des Puys permet de construire la chronologie de ces évènements. Une autre méthode de datation est particulièrement adaptée à la datation des laves de l’Auvergne: la datation par thermoluminescence est la détermination, au moyen de la mesure de la dose de rayonnement accumulée, du temps écoulé depuis que le matériau contenant des minéraux cristallins a été chauffé ou exposé à la lumière du soleil. Ce phénomène est fondé sur l’accumulation par les minéraux, tels le quartz, l’alumine ou le feldspath, de l’énergie provenant de la radioactivité ambiante. Un chauffage à 500 °C ou une exposition à la lumière durant toute une journée libèrent cette énergie sous forme lumineuse. On mesure, d’une part, la paléodose, c’est-à-dire l’énergie emmagasinée depuis la dernière remise à zéro et, d’autre part, la dose reçue chaque année par l’échantillon : le rapport de la paléodose sur la dose annuelle fournit l’âge de l’objet analysé. Parmi les sources principales d’incertitude, la mesure de la dose annuelle repose sur des hypothèses sur le fait que l’échantillon est resté dans le même environnement depuis son chauffage. 

Cette technique est très employée pour la datation des céramiques et des silex brûlés, objets chauffés d‘intérêt archéologique. Elle permet aussi de dater certaines laves et notamment celles des volcans de la Chaîne des Puys. Dans la plupart des cas, un très bon accord entre les dates estimées par thermoluminescence et par radiocarbone est observé, dans la barre d’erreur expérimentale de l’ordre de 1000 ans pour des laves vieilles de 10 000 ans[5]. Dans certains cas, le désaccord plus important a nécessité d’affiner le choix des échantillons. L’étude des pollens contenus dans les sédiments est alors une source supplémentaire d’informations précieuses pour affiner les mesures.

La technique de datation par thermoluminescence ne s’applique pas seulement à l’étude du volcanisme récent comme celui de la Chaîne des Puys. Son champ d’application s’étend à des volcans plus anciens du Massif Central, vieux de plusieurs centaines de milliers d’années.  A de telles échelles de temps, la datation au C14 n’est plus applicable mais d’autres techniques radiométriques vont prendre le relais[6].

Conclusion

Ces quelques exemples illustrent le vaste travail accompli depuis des dizaines d’années pour développer et affiner des techniques de datation indépendantes et complémentaires. Chaque technique a ses champs d’application et ses limites mais ensemble, elles constituent un édifice extrêmement solide en constant raffinement. 


Notes

[1] Un eV ou électron-volt représente l’énergie d’un électron accéléré sous une tension d’un volt,

[2] http://www.lsm.in2p3.fr/activites/basses_activ/basses_activ_exemples.htm

[3] https://www.futura-sciences.com/sciences/dossiers/physique-differentes-methodes-datation-mineraux-periodes-couvertes-203/page/4/

[4] Pearson CL, Brewer PW, Brown D, Heaton TJ, Hodgins GWL, Jull AJT, Lange T, Salzer MW. Annual radiocarbon record indicates 16th century BCE date for the Thera eruption. Sci Adv. 2018 Aug 15;4(8):eaar8241. doi: 10.1126/sciadv.aar8241. PMID: 30116779; PMCID: PMC6093623

[5] https://www.persee.fr/doc/quate_0004-5500_1985_num_22_4_1544

[6] https://scienceetfoi.com/age-de-la-terre-un-dossier-pratique/

Crédit illustration :
Volcans du puy : Depositphotos


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