Article 1 sur un total de 3 pour la série :
Dans le cadre du programme international « Evolution et Foi Chrétienne » de la fondation BioLogos auquel nous participons, cet été à Oxford nous avons assisté à une conférence de Justin Barrett, chercheur à l’Université d’Oxford dans le domaine récent et plein de promesses des « sciences cognitives de la religion. » Le titre était :
Une réponse chrétienne aux sciences évolutives et cognitives de la religion.
Je rends compte de cette conférence de manière incomplète pour des questions de longueur d’article. Les commentaires permettront éventuellement d’approfondir ou de traiter d’autres points abordés.
Après avoir expliqué ce qu’était cette nouvelle discipline académique liée aux sciences cognitives, à la psychologie évolutive ainsi qu’à l’étude des religions, Justin Barrett a évoqué les enjeux spécifiques pour la foi chrétienne et l’engagement des chrétiens dans ce champ d’investigation.
Alister McGrath définit ailleurs « the Cognitive Science of Religion » (CSR)
Cette approche importe des théories des sciences cognitives et peut soulever la question suivante : pourquoi la pensée et les actes religieux sont-ils si répandus chez les hommes et pourquoi ont-ils les formes observées actuellement ?
En laissant de côté (pour des questions de méthode, ndtr) les affirmations religieuses d’ordre métaphysique, on peut analyser le phénomène religieux comme un amalgame complexe de phénomènes essentiellement humains, qui sont communiqués et régulés par la perception et la réflexion humaines.
La religion est ici traitée comme un phénomène naturel, qui apparaît au travers- et non pas en dépit – de façons naturelles de penser. Ceci est un défi significatif à certaines façons d’évaluer la religion, dont l’agenda est souvent inspiré par l’agenda du rationalisme des Lumières, qui soutenait que la foi était le « sommeil de la raison »– en d’autres mots, « la suspension des facultés humaines critiques et rationnelles. »
(Science et religion p. 184)
Justin Barrett donne sa définition des CSR
Les sciences cognitives de la religion visent à rendre compte scientifiquement des schémas d’expression culturelle que l’on qualifie souvent de « religions » en faisant appel aux opérations sous-jacentes des systèmes cognitifs évolués et la façon dont elles impactent l’évolution culturelle.
Les CSR essayent de comprendre comment et pourquoi les croyances et les pratiques religieuses survivent et se répandent comme elles le font, en prenant sérieusement en compte les dynamiques psychologiques en jeu dans leurs environnements culturels. Les CSR font appel à
- l’étude comparée des religions,
- la psychologie du développement,
- l’anthropologie, à la psychologie cognitive,
- l’étude évolutive des religions.
L’un des thèmes d’étude majeur est la question de savoir si la grande majorité des hommes ont des prédispositions cognitives naturelles qui les rendent réceptifs à la foi et au comportement religieux.
Pourquoi les idées et les comportements religieux nous seraient-ils « naturels » d’une certaine manière ?
Plusieurs explications ont été données
- Les communautés et les personnes religieuses coopèrent davantage, partagent mieux les ressources disponibles et donc ont une meilleure chance de survivre ainsi que leurs enfants. (Richard Sosis, anthropologue)
- La croyance dans un ou des dieux qui punissent les actes moralement répréhensibles inhibe les comportements sociaux égoïstes et donc favorise les actes de coopération bénéfiques à la sélection naturelle (Jesse Bering)
Dans une approche différente que celle de ces logiques adaptatives, Justin Barret repousse la question d’un cran : pourquoi les croyances en des divinités, la vie après la mort, l’existence de l’âme humaine sont-elles présentes ?
Ces croyances existent bel et bien avant de se répandre et d’engendrer des comportements adaptatifs. Dans une réponse partielle à cette interrogation, Barret argumente sur le fait que, quelle que soit la culture, les enfants grandissent avec une propension à chercher de la signification et de la compréhension dans leur environnement. Etant donné leur développement mental naturel, cette recherche les conduit naturellement à croire en un monde qui a un sens et qui est conçu intelligemment avec une intention derrière cette conception, le concepteur étant super puissant, super intelligent, et immortel. Ce concepteur n’a pas besoin d’avoir un corps comme les hommes. L’acquisition de cette sorte de concept de dieu est très naturelle pour les enfants et ne nécessite aucun endoctrinement coercitif. Ces observations expliquent en partie les croyances en la divinité présentant ce type de caractéristiques générales est très répandue dans tout type de cultures et tout au long de l’histoire. Sous cet aspect, les concepts de dieu sont les sous-produits de la réflexion humaine ordinaire nous permettant de résoudre les autres problèmes liés à la survie.
Kelemen (université de Boston) a interrogé des enfants de 6 et 7 ans vivant en Angleterre à propos de l’origine d’un certain nombre de choses naturelles et artificielles. L’expérimentateur a d’abord demandé aux enfants des questions ouvertes du type : « pourquoi la toute première inondation s’est produite ? » « Pourquoi le premier oiseau a existé ? » En accord avec leur inclination naturelle à trouver des réponses montrant un but dans la nature, ces enfants ont proposé des réponses téléologiques (avec une finalité) pour les objets naturels, les animaux et les outils
- « Pourquoi le premier oiseau a existé ? »
- « pour faire de la belle musique »
- « pour que le monde paraisse beau »
- « Pourquoi le premier singe a existé ? »
- « pour que quelque chose grimpe aux arbres »
- « pour qu’il y ait un animal dans la jungle »
- « Pourquoi la première rivière a existé ? »
- « Pour qu’il puisse y avoir des bateaux sur l’eau »
- « Pour que les gens puissent pêcher. »
Kelemen a commencé à montrer que la préférence pour les explications qui présente une préférence pour la finalité, les explications orientées vers les fonctions, au lieu d’explications purement mécanistes, persistent aussi à l’âge adulte. Une éducation formelle est nécessaire pour « surmonter » cette tendance naturelle.
L’un des collègues danois de Barret est athée et il n’inculque pas d’enseignement religieux à sa petite fille qui pose plein de questions sur la vie et le monde. Le papa raconte à Barret qu’un jour, sa fille demande soudainement si Dieu a créé le monde. Le papa répond « le monde n’a pas été créé. Il a toujours été là. » La petite fille est intriguée. Elle secoue la tête et dit : « Non, ça ne peut pas être vrai. » Alors son papa reprend : « bon, il y a longtemps, il y a eu un big bang et soudainement tout est juste apparu. » Sa petite fille a réfléchi quelques instants et puis a commenté : « Dieu a dû être surpris ! »
Une étude récente sur les enfants, en particulier en Chine et en Equateur a montré que ceux–ci sont naturellement inclinés à croire que :
- Le monde naturel a un but et qu’il a été conçu
- Que l’homme n’est pas le concepteur/créateur
- Le fonctionnement mental de l’homme l’incline à croire en des divinités
- Ceux qui croient en des divinités « morales » pourraient avoir des avantages de bien-être
Dans un prochain article nous parlerons de l’impact de ce type d’études pour le christianisme.
Est-ce un problème ? Existe-t-il une tension, une menace à étudier/parler de la foi de cette façon ?
3 Articles pour la série :
- La foi est-elle naturelle ? L’apport des « sciences cognitives de la religion » partie 1
- La foi est-elle naturelle ? (Partie 2)
- La convergence entre la « Science Cognitive de la Religion » et le Christianisme