Introduction (Science & Foi)
Nous sommes heureux d’accueillir Joël Francis Ohandza, prêtre catholique du diocèse de Kribi (Cameroun) et doctorant en Théologie Fondamentale à la Faculté de Théologie de Milan, dont voici le premier article. Vous en saurez un peu plus sur sa biographie en signature.
Comme invité sur ce blog, les propos de Joël n’engagent pas Science & Foi. Nous avons précisé « ce que nous croyons » dans cette rubrique.
Dans le but d’articuler le rapport dialectique entre la singularité christologique et le pluralisme religieux dans la modernité, le théologien américain John B. Cobb a développé, dans le sillage de la pensée du process, l’idée du dialogue des différences.
Cobb déploie son argumentaire à partir de l’affirmation selon laquelle la vérité ne se trouve pas seulement dans la recherche de la complémentarité, mais aussi dans le respect des différences.
La différence, du point de vue de Cobb, est la possibilité de la transformation créatrice. Il arrive à cette conclusion après avoir élaboré une christologie qui assume le pluralisme religieux, dans le but de favoriser le dialogue et la transformation mutuelle entre les religions. On voit d’ailleurs que le Jésus-Christ de Cobb, – observe André Gounelle – «n’est pas un Jésus qui empêche de valoriser positivement les autres religions[1]», il est la possibilité qui rend possible toute transformation créatrice. Dans ce sens,
si le Christ est la ‘voie’, c’est parce que loin d’en exclure d’autres, il les autorise, les suscite et se trouve finalement modifié par elles[2].
Le Dieu Cobbien agit donc dans le monde à travers sa puissance créatrice qu’est le Christ (logos) qui transforme les existants du monde en agent de leur propre devenir. Or cette transformation créatrice ne s’opère que lorsqu’on décide de s’ouvrir à la nouveauté, de laisser nos certitudes être travaillées et transformées par la différence qu’on rencontre et qui nous rencontre.
Il n’est cependant pas question de perdre son irréductibilité dans la relation avec l’autre, mais de se laisser éprouver par ce qui est différent. C’est au cœur de cette dialectique de la rencontre de l’autre que jaillira la nouveauté qui est garante de la pluralité.
Le paradigme de la recherche de la complémentarité entre différentes traditions religieuses pose, à notre avis, deux types de problèmes. D’une part, chaque religion a sa sphère de légitimité qui l’autodistingue des autres sans pour autant les exclure. D’autre part, comme le reprochait autrefois Jésus à ses disciples :
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ?
(Lc 6, 33).
Le maître semble, lui aussi, interroger le caractère souvent discriminant des affinités. Aussi nous invite-t-il subtilement à oser la différence, car il n’existe pas seulement de valeur dans ce qui nous unit, mais aussi dans ce qui nous différencie.
Le problème que pose une certaine interprétation de la complémentarité, dans la recherche désespérée des points affinitaires, est que chaque partie prétend être le chaînon complémentaire et manquant de l’autre. Or si nous allons à la rencontre de l’autre, ce n’est pas forcément avec la prétention – fût-elle noble – de compléter ce qui manque chez lui, mais c’est aussi pour rencontrer l’autre dans ce qu’il est de différent et laisser cette rencontre contribuer à la transformation créatrice de chaque différence.
À cet égard, dans un contexte de pluralisme religieux, la troisième voie entre le repli et le relativisme identitaires est, selon Cobb, le dialogue des différences. Ainsi, devrions-nous être capables d’apprécier et de respecter les personnes qui sont différentes de nous, ne pensent pas comme nous et ne croient pas comme nous, car ce serait un leurre de penser que nous sommes tous très semblables et que nos différences ne sont pas très importantes[3].
Le dialogue des différences veut voir dans la rencontre de l’autre une chance pour une fécondation réciproque et une transformation créatrice mutuelle. En effet,
plus les différences sont nombreuses et valorisées comme telles, plus sont multiples les occasions de relation et fortes les possibilités de transformation créatrice[4]
La troisième voie que Cobb propose consiste donc à progresser ensemble vers l’unique vérité dans la rencontre de l’autre-différent-de-moi. Dit autrement, chaque différence garde son irréductibilité fondamentale tout en se renouvelant dans la rencontre de l’autre[5]. Il ne s’agit donc pas de devenir comme l’autre dans la rencontre de l’autre, mais plutôt de devenir authentiquement soi-même.
Ce type de transformation dialogique au sens dont Cobb la conçoit a un aspect fondamental : il s’agit d’abord pour chaque confession religieuse de s’autoévaluer. C’est cette attitude autocritique qui l’empêchera de sombrer dans l’idéologie et le dogmatisme. Il faut donc être attentifs aux objections des autres qui souvent nous révèlent les aspects négligés de notre croyance. Il faut aussi avoir le courage de la critique fraternelle. Cette confrontation constructive est nécessaire à la conversion (transformation créatrice) de chacun et favoriserait enfin un témoignage plus solidaire de l’unique vérité dans la diversité des perspectives.
Notes
[1] A. Gounelle, la théologie du process in www. andregounelle.fr, 1er Janvier 2019.
[2] R. Picon, Le Christ à la croisée des religions: Essai sur la christologie de John B. Cobb, Van Dieren, Paris 2003,
[3] J.B. Cobb, Postmodernism and Public Policy, State University of New York Press, New York 2002, p. 52.
[4] R. Picon, Op.cit, p. 50.
[5] Purwanto, Toward A Constructive Postmodern Pluralism on the Perspectives of Alfred North Whitehead and David Ray Griffin, «Jurnal Studi Agama» 2-2 (2012), p. 260.