crédit illustration : Wikimedia Commons

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Pourquoi Job et la Bible ?

La vocation de Science & Foi est également d’investiguer dans le domaine des sciences bibliques, c’est à dire de présenter à nos lecteurs l’état des recherches académiques qui touchent le domaine de la Bible et des sujets périphériques.

 

Accéder au contexte d’un texte ancien est capital pour pouvoir bien le comprendre. Sans entrer dans un débat sur les sciences bibliques et de l’intérêt de l’approche historico-critique qui nous entraînerait loin de cet article consacré au livre de Job, je me contenterai de citer Jean Zumstein, auteur de Sauvez la Bible qui évoque quatre courages pour le lecteur de la Bible, dont « le courage de la différence » :

La Bible appartient historiquement à des lieux et à des temps parce qu’elle fait entendre un Dieu qui s’incarne.  […] Pour lire la Bible, pour parcourir la distance qui nous sépare de son monde, il faut nous mettre en mouvement. Celui qui en reste à ses certitudes, à ses évidences, à ses problèmes à ses connaissances immédiates utiles n’accédera pas à la Parole[1].

 

Dans mon cursus universitaire en théologie, j’ai l’occasion d’étudier différents ouvrages spécifiques ou de synthèse. Il m’a paru intéressant de partager ici ce travail sur le livre de Job qui traditionnellement est vu comme l’un des livres les plus anciens de la Bible. Or la recherche ne manque pas d’arguments pertinents pour montrer que ce livre a certainement été rédigé au Ve voire au début du IVe siècle (avant J-C).  En quoi cela peut-il être important?

Par ici la visite

 

introduction ancien testament
Source :
EA Knauf et P Guillaume,
JOB, in T Römer – JD Macchi – C Nihan Christophe (éds.),
Introduction à l’Ancien Testament 2ème éd.,
Le monde de la Bible 49, Labor et Fides,
Genève, 2009, p 590-600.

 

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Résumé

Dans la Bible, le livre de Job est une œuvre poétique qui traite de la question du mal, elle a de tout temps inspiré de nombreux penseurs et auteurs par les questions universelles qu’elle soulève à propos de la condition humaine.

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I. Plan et contenu du livre de Job

  1. Les auteurs notent l’érudition du texte hébraïque, la structure du livre demeure cependant assez simple et consensuelle :
    • Prologue en prose (1-2)
      suite en vers
      v
    • Complainte de Job (3)
    • Débat entre Job et ses amis (4-27)
    • Eloge de la sagesse (28)
    • Complainte de Job
    • Discours d’Eliou (32-37)
    • Dialogue entre Yhwh et Job (38-42,6)
    •       ^
      Avant en vers
      Epilogue en prose (42,7-17)
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  2. Une présentation rapide des personnages est faite, situant Job et sa famille dans l’Arabie du nord-ouest. Dieu est Yhwh dans le prologue qui est en prose (comme l’épilogue) puis est Eloah ou el Shadaï dans le récit en vers, l’accusateur est le satan (toujours avec l’article). Elihou est le seul parmi les amis de Job à ne pas subir de réprimandes (42,7). Certains l’ont vu comme l’auteur du livre ou son premier commentateur orthodoxe.
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  3. Suit le scénario qui reprend en séquence les points du récit du livre selon le plan évoqué plus haut.

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II. Origine et formation du livre de Job

  1. La question de la cohérence
    Les avis sont très partagés concernant la composition du livre de Job.

    • La position la plus courante parmi les chercheurs postule pour une légende originelle de l’époque monarchique basée sur les chap 1-2 et 42 et complétée par les dialogues 3-31 ; 38-41. Viendrait ensuite l’hymne à la sagesse (28) et les discours d’Elihou (32-37). Les scènes de la cour céleste du prologue attestées que dans des textes tardifs sont également considérées comme des ajouts ultérieurs.
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    • Il y a de bons arguments pour retenir le fait que le discours d’Elihou (plus conforme à l’enseignement biblique traditionnel) soit un ajout tardif permettant à ce livre critique de trouver sa place dans la bibliothèque du second temple.
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    • En revanche les auteurs se montrent plus critiques avec les arguments prétextant une séparation du cadre du récit (en prose) avec les éléments du dialogue dans le temps. L’usage différent du nom de Dieu entre le cadre et le dialogue s’explique bien par la construction du récit, l‘auteur et les auditeurs de Jérusalem connaissent YHWH, Les acteurs étrangers de l’histoire utilise un nom générique Dieu ou el Shadaï.
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    • Un élément intéressant vient également lier le cadre et la partie du discours, celle du verbe b-r-k (bénir) qui doit être compris comme un euphémisme pour maudire en 1,5 puis au sens propre en 1,10. (en fait dans le texte hébreu, la femme de Job s’adresse à lui en lui disant « bénis Dieu et meurs »). Les auteurs déplorent que les traducteurs forcent la cohérence entre les parties sans laisser au lecteur l’initiative de la réflexion.
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  2. Datation et milieu producteur
    • Les indices historiques relevés dans le texte comme les razzias de Chaldéens et de Sabéens en Arabie du Nord, les mentions de caravanes de Téma et de Saba impliquent la connaissance d’évènements du V et VIe s avant l’ère commune.
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    • Si la question de la théodicée dans un cadre monothéiste n’est pas propre au livre de Job car elle fut abordée au travers de plusieurs psaumes, cette réflexion n’émerge cependant pas avant le Ve s également.
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    • Job est présenté comme un homme riche et juste, il est arabe et non juif. La connaissance des contrées étrangères montre que l’auteur du livre devait être un voyageur aguerri. Dans le contexte politique de Ne 5 ou 13, la première rédaction exprimerait son opposition à Esdras et Néhémie et une attitude favorable aux descendants d’Ismaël.
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    • « Job fut rangé parmi les Ketubim, considérés comme des commentaires de la Torah et des prophètes » (p. 596). La reprise de Jr 20,14-18 en Jb 3 ne s’éclaire qu’en Jb 38-41. Cette citation témoignerait du fait que l’auteur de Job aurait vécu à Jérusalem pendant le débat à l’origine de la Torah au Ve s ou juste au début de sa promulgation au début du IVe s.  Il rallie certainement la Bibliothèque et l’école du temple dans le même compromis que constitue celui de la Torah entre « le romantisme populaire de l’école deutéronomiste (les futurs pharisiens représentés par les amis de Job) et les aristocrates réalistes de l’école sacerdotale (futurs Sadducéens) » (p. 596).
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    • Un encart présente les nombreuses références de récits parallèles à Job dans la littérature du POA. Ceci montre que la question de la théodicée, de la souffrance, des luttent existentielles préoccupaient l’humanité bien au-delà des frontières d’Israël.

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III. Thèmes et enjeux

Pour conclure, les auteurs proposent d’étudier 4 types de lecture du livre de Job dans la Bible :

  1. La lecture théologique « cherche à apporter une solution au problème de la théodicée » (p. 597). Comment la Justice peut-elle cohabiter avec la toute-Puissance du Dieu créateur ? La Toute-Puissance divine semble l’emporter dans les discours de Dieu (38-41) et on ne semble guère progresser vers l’obtention d’une réponse. La clé se trouve en 42:8 où YHWH libère son potentiel de « folie » par l’intermédiaire de Job et par l’intersession en faveur de ses amis. Cette figure de l’intercesseur reprend celle de Noé, Daniel ou Ezéchiel, elle exprime une Theologia crucis ante Christum natum, c-a-d une théologie de la croix avant la naissance du Christ.
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  2. La lecture anthropologique comprend le livre de Job comme processus de maturation.
    Job va vivre une expérience de déconstruction qui va l’amener à réaliser que tout ce qui lui arrive dans la vie n’est pas planifié au millimètre par Dieu lui-même, qu’il n’a pas à gaspiller sa fortune dans des holocaustes pour des péchés imaginaires, que la souffrance fait partie de la condition humaine.
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  3. La lecture canonique. Issu d’une formule du Talmud (baba Bathra 14b-15a) « Moïse écrivit ses livres (la Torah) et Job ». Job se comprend alors comme un commentaire de la Torah en précisant par exemple le rôle du chaos au sein de la création ou corrigeant l’exclusion des femmes de l’héritage (cf Nb 27).
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  4. La lecture politique entrevoit le livre de Job comme une contestation des lectures autorisées de la Bible. Job ne se reconnait pas dans l’approche deutéronomiste de Néhémie. Il faut s’occuper des pauvres mais ne pas s’en servir dans des luttes de pouvoir à l’image de Néhémie ou des amis de Job. Quand Job reprend Es 41,20 en Jb 12,9 c’est au service d’une sorte de théologie naturelle dans l’optique de justifier une approche empirique et critique de la réalité. Les discours de Dieu au final lui donneront raison, Job aura bien fait de rejeter l’autorité de ses amis, « rien n’est plus suspect qu’une idéologie qui promet un monde sans peine » (p. 599).

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Commentaires

Cette présentation synthétique du livre de job ne permet pas de rentrer dans toutes les subtilités et la richesse du livre mais elle permet d’en saisir l’essentiel.

Comme à l’accoutumé dans l’Introduction à l’Ancien Testament de Romër, Macchi, Nihan, le contexte est traité avec grand soin et pour un sujet qui ne fait pas consensus comme c’est le cas pour la composition du livre, c’est l’avis le plus courant parmi les chercheurs qui est argumenté et développé.

Les différents types de lecture proposés dans la partie « thèmes et enjeux » permettent de s’approprier le livre sous différents angles et d’en mesurer la richesse, cela suscitera peut-être l’envie de poursuivre avec une étude plus complète l’exploration de cette sagesse quasi universelle qu’offre le livre de Job.

Pour l’heure le lecteur aura tout à gagner d’adjoindre à sa lecture, celle du chapitre précédent sur « la littérature sapientiale » de Thomas Römer pour remettre la réflexion sapientiale de Job dans celle plus globale de l’Ancien Testament voire même du Proche Orient Ancien.

Cette dimension de la remise en cause de la théologie de la rétribution par le questionnement sera poussée à un niveau supérieur dans la Bible, par le livre de Qohélet (l’ecclésiaste), cette synthèse sur Job n’en parle pas, certainement parce que cela figure dans le chapitre précédent. Il est toujours profitable cependant de pouvoir faire le lien avec les idées maîtresses de ce qui précède et de ce qui suit.

Certains plans de lecture chronologiques de la Bible (type plan de lecture en un an) s’appuient non pas sur les données de la recherche mais plutôt sur les dates issues de la tradition (Job est alors perçu comme l’un sinon le plus ancien livre de la Bible, on attribue à Moïse l’intégralité du pentateuque). On lit alors Job avec, voire avant la Genèse, et avant le Deutéronome, on peine plus alors à comprendre sa contestation de la théologie de la rétribution[2] incarnée par ses amis.

Nous aurons certainement l’occasion d’en reparler plus tard, mais dans une perspective chrétienne, le fait de lire ces textes dans leur contexte socio-culturel, permet de juger du rôle important que jouent les écrits de la sagesse dans la clôture du Canon de l’AT en osant interroger la cohérence et les limites de la théologie rétributive et entrouvrir ainsi les portes de la grâce.

 

 

 

 


Notes

[1] Jean Zumstein, Sauvez la Bible, Editions du Moulin, Nyon, 1994, p. 47

[2] jusqu’au Ve siècle, les textes de l’Ancien Testament insistent sur une règle simple : si tu fais le bien, Dieu te récompensera de ton vivant, si tu fais le mal, il te punira (cf Deut, Pro, certains Ps.). C’est la théologie de la rétribution.