Article 1 sur un total de 3 pour la série :

Les bases méthodologiques de la réflexion de Bruno Synnott


Dans cette série, j’aimerais faire une synthèse de mes recherches. Aussi, j’aimerais recevoir le commentaire de mes lecteurs …

Ce premier texte veut montrer les bases méthodologiques de ma réflexion, dont voici le plan:

1. Considérations générales

1.1. Le dialogue foi/raison

1.2. La grande découverte cosmologique du XXe siècle

1.3. Le sens de l’évolution ou création continuée

 

harmonie

Le dialogue foi/raison

 

Il est nécessaire de réfléchir aux sujets « chauds » situés à la frontière de la théologie et des sciences. Il est évident que les deux domaines, bien que séparés, convergent vers des points de jonction tels que le commencement de l’univers, l’apparition de l’homme, sa nature etc. La pensée de l’homme ne peut garder séparé ces deux domaines et elle tente constamment de penser ensemble les vérités de la foi et les vérités de la raison (philosophique et scientifique) [1].

 

Par exemple, nous constatons dans le premier récit de la création, au début de la Bible, que les vérités théologiques sont « inculturées » [2] dans les conceptions scientifiques et culturelles du Proche Orient Ancien (POA). Autrement dit, nous constatons que la Bible, au moment où elle s’écrit, parle de la création selon le paradigme scientifique de son temps. On retrouve une claire démonstration de la présence de la science ancienne dans le récit de Genèse 1 chez Denis O. Lamoureux[3].

 

Cela démontre un brillant effort d’harmonie que nous nous devons encore de rechercher de nos jours. La tendance actuelle dans notre société, autant chez les croyants évangéliques que chez les humanistes athées, est de garder séparé ce qui est de l’ordre des sciences et de l’ordre de la foi. Chacun se retranche dans l’une ou dans l’autre de ces catégories selon que chacun croit ou non en Dieu. Mais je suis persuadé que la Foi et la Raison sont complémentaires et qu’un concordisme entre les vérités théologiques de la Bible et les vérités de la science sont possibles. Je ne rejette pas le concordisme dans ce sens là. Je rejette le concordisme qui stipulerait une de ces trois idées suivante :

  1. Qui prend les faits relatés en Genèse 1 comme une explication scientifique satisfaisante.
  2. Qui prend la science ancienne présente dans la Bible (par exemple la création du soleil au 4ième jour) pour la science valable en tous temps.
  3. Qui cherche à faire concorder les versets de la Bible avec des phénomènes naturelles (par exemple Ge 1.2 = le Big Bang).

 

Alors que la science s’intéresse à la question du « comment », par exemple comme l’univers a-t-il commencé, comment a-t-il évolué ?, la théologie, elle, se préoccupe du sens et du pourquoi cette création a eu lieu. Pour Claude Tresmontant par exemple, « l’évolution est la création continuée »[4]. Cette formule synthèse a l’avantage de prendre compte les deux côtés de la médaille; elle utilise les deux yeux pour bien voir. C’est pourquoi, dans l’essai qui suit, je vais regarder simultanément à partir de l’angle de l’histoire de l’univers qui est aussi le livre de la création. Mais également sous l’angle de l’histoire du salut qui, pour les chrétiens, se trouve dans le livre de la Révélation. En pariant que les vérités de foi présentes dans la Bible s’harmonisent avec les données objectives de la science moderne.

 

L’importance du dialogue Science/Bible n’est plus à démontrer dans l’histoire. Sur ce point, les catholiques sont en avance sur bien des protestants évangéliques qui rejettent encore en bloc la raison scientifique et philosophique. La crise de l’héliocentrisme leur aura au moins permis d’éviter d’errer trop longtemps lorsque la théorie de l’évolution devint bien établi scientifiquement. Depuis fort longtemps, nous devons à la foi des hébreux et à des chrétiens comme Copernic d’avoir désacralisé le monde et de ne plus l’avoir considéré comme divin. Cela a permis aux sciences naturelles de prendre confiance dans la rationalité et la cohérence de l’univers. La foi monothéiste des hébreux et sa métaphysique qui en découle a ainsi eu un impact positif sur l’avènement des sciences modernes. Celles-ci, soutenues par une vision rationnelle du monde, a pu développer des outils pour étudier le réel.

 

Aujourd’hui, il y a un retour d’ascenseur. Grâce à ses observations du réel, les sciences naturelles et pures peuvent aider l’église à prendre conscience de la désuétude de certains dogmes du passé, construit à partir de prémisses maintenant reconnues comme erronées, comme par exemple que l’univers est stable et éternel. Ces fausses prémisses, souvent influencées par une interprétation littérale des récits de la Genèse, comme par exemple que l’homme fut créé parfait, que la terre était un paradis sans souffrance avant le péché d’Adam, ont emprisonné les vérités bibliques dans des paradigmes philosophiques ou scientifiques anciens. Ces vieux cadres philosophiques et scientifiques ont depuis créé une immense distance entre l’église moderne et ses contemporains. Pourquoi les jeunes ne croient plus à « l’église » ? Je crois qu’en se moment la science peut et va aider l’église dans sa mission, en l’aidant à se débarrasser de ses vieux habits défraîchis, et en aidant l’église à rendre de nouveau les vérités bibliques compréhensibles pour la jeune génération.

 

La grande découverte du XXe siècle

 

Les théologiens du passé n’ont pas pu avoir accès à l’histoire de la création telle que nous pouvons la contempler aujourd’hui grâce à la science actuelle. L’évolution de l’univers est une des grandes découvertes du XXe siècle qui a ouvert de nouvelles pistes de réflexions sur la création, l’état originel de l’homme et le péché des origines. Ce que l’église doit rejeter, ce n’est pas la théorie de l’évolution, mais les idéologies dérivées : le matérialisme et l’humanisme athée, le réductionnisme scientifique. Lorsque ceux-ci attaquent la Bible et disent que les églises et la Bible errent scientifiquement et gardent le monde dans l’ignorance, ils pointent du doigt une demi-vérité. C’est vrai que les systèmes théologiques que nous avons hérités ont été élaborés dans la perspective d’une science ancienne. C’est vrai que dans les récits de la création, on retrouve les traces d’une science phénoménologique et préscientifique. Comme par exemple en Ge 1.6 le « dôme » (heb = raquia, faussement traduit par « étendu ») qui sépare les eaux d’en haut et les eaux d’en bas[5]. Or au lieu de le reconnaître, et de souligner les vérités spirituelles et théologiques que ces textes millénaires contiennent, vérités qui ont aidé la science moderne à s’épanouir, les chrétiens cherchent à défendre bec et ongle une science ancienne qui n’est pas exacte, et certainement plus valable. Résultat, nous jetons le discrédit sur la Bible car nous ne comprenons pas le principe « d’inculturation », « d’incarnation » et « d’accommodation » que nous verrons au chapitre 2.

 

Il serait insensé de ne pas tenir compte du réel tel que les sciences modernes nous le présentent. Nos pendules doivent être remis à l’heure. Notre vision de l’univers s’est considérablement modifiée depuis Copernic, Newton, Einstein. Mais c’est surtout depuis Darwin et Lemaître que nos paradigmes anciens ont éclaté. Sur la création de l’univers par exemple, nous observons que le réel n’est pas « statique » ni « éternel » mais qu’elle est en régime de « création continue ». La création n’est pas seulement un phénomène du passé, elle se poursuit encore aujourd’hui. En effet, on constate que des ordres de réalités nouveaux apparaissent constamment depuis le début de l’univers. Par exemple, au rayonnement cosmique primitif ont succédé les premiers atomes, puis la matière ainsi que les premières molécules. Enfin, dans un ordre supérieur est apparu  la cellule, la vie biologique et enfin la conscience. Nous ne pouvons plus demeurer dans le cadre interprétatif ancien d’un monde créé « statique », ou initialement « achevé » (Augustin), puisque nous avons sous les yeux la démonstration que l’univers vient d’un processus de création continu appelé communément « évolution ». Nous observons que de l’information nouvelle apparaît constamment. Le prophétisme hébreu et chrétien en est une autre preuve, lui qui communique au monde une information nouvelle sur le principe et la fin du monde dans lequel on vit.

 

Le sens de cette évolution

 

De nos jours, de plus en plus de scientifiques s’aperçoivent que l’univers n’est peut-être pas « l’être absolu », premier et nécessaire. Comment l’univers aurait-il pu surgir de rien ? Comment serait-il passé de la matière, à la vie et à la conscience morale ?  Comment l’univers aurait-il pu se donner de l’information nouvelle qui lui était étrangère au départ ? Tout cela pointe vers une implacable vérité rationnelle : si le temps, l’espace et la matière ont connu un commencement et ont atteint le niveau de complexification que l’on connaît aujourd’hui (pensons au cerveau),  c’est parce que l’univers n’est pas seul. L’univers n’aurait pu apparaître par hasard ni se donner de l’information qu’il n’avait pas au départ. Il existe nécessairement un être premier que nous appelons Dieu. Il a été montré depuis Parménide – en fait depuis le début de la pensée rationnelle – que du néant ne peut pas surgir l’être et que du chaos ne peut surgir ni de l’ordre ni de l’information (Bergson). C’est ici que la Bible vient éclairer ce qui aurait été pour toujours inaccessible à la raison humaine : ce Dieu transcendant  est aussi un Dieu personnel et immanent[6], venu en « chair » dans la personne de Jésus-Christ.

 

De ces deux perspectives, à partir des deux yeux que l’homme possède, nous essaierons d’avoir une juste perception de ce qui existe, je veux dire de Dieu, de l’univers et de l’homme. L’évolution, c’est l’histoire matérielle du monde sous l’angle de la raison. Sous l’angle de la foi, c’est la création qui se continue et qui trouve son accomplissement en Jésus-Christ, le Dieu-homme en qui les hommes sont invités à être transformés et renouvelés à l’image de la réalité nouvelle qui, depuis la venue de Jésus, prend place et que l’on nomme aussi le Royaume de Dieu.

 

Dans notre prochain billet, nous expliquerons les considérations herméneutiques de notre essai.


[1] Voir La Genèse face à la science, Jean-Michel Maldamé au :http://bibliotheque.domuni.eu/IMG/pdf/La_Genese_face_a_la_science.pdf

[2] Voir Bruno Synnott, Genèse 1-11 et le principe d’inculturation au :http://lebigbadbruno.blogspot.ca/2012/11/genese-1-11-et-le-principe.html?view=sidebar

[3] Voir Denis Lamoureux (2008) Lessons from the heavens : On Scripture, Science and Inerrancy, Perspective on Science and Christian Faith, Vol. 60, no.1, p.4-15

[4] Pour découvrir Claude Tresmontant, je vous invite à découvrir le blog suivant : http://www.claude-tresmontant.com/

[5] Denis Lamoureux (2008) Lessons from the heavens : On Scripture, Science and Inerrancy, Perspective on Science and Christian Faith, Vol. 60, no.1, p.5

[6] Ou trinitaire; une tri-unité : 1- transcendante (le Père), immanente (l’Esprit) et Incarné (le Fils)


3 Articles pour la série :

Les bases méthodologiques de la réflexion de Bruno Synnott