Lorsqu’on m’a prêté cet ouvrage au titre provocateur paru en 2009 chez Perrin, j’ai d’abord craint qu’il ne s’agisse d’une caricature journalistique bien française sur le sujet. Et bien pas du tout ! J’ai même dévoré cet essai du journaliste, essayiste et conférencier Patrice de Plunkett dont j’ignore par ailleurs les convictions personnelles de foi. Je l’ai trouvé particulièrement fin dans ses analyses et soucieux d’éviter les amalgames et les raccourcis habituels dans les médias à propos des évangéliques. Ceci rend certaines remarques critiques encore plus incisives. Sa conclusion est : « Cinq cents ans après Calvin, l’univers protestant demeure un volcan de contradictions », et en ce qui concerne les rapports particuliers qu’entretiennent les évangéliques et la science, il a particulièrement raison.
Lors de ma dernière conférence à Bordeaux, j’ai été interpellé dans la partie question/réponse par un croyant qui se souciait du fait que vis-à-vis de l’extérieur, tous les chrétiens évangéliques n’apportaient pas les mêmes réponses et n’avaient pas les mêmes positions sur les questions concernant les origines de l’univers et de l’homme. Je ne pouvais que déplorer avec lui cet état de fait produisant de la confusion dans notre témoignage, et je me suis rapidement aperçu que nous avions des opinions radicalement différentes, et qu’il me reprochait donc implicitement de ne pas penser comme lui…
Si j’ai souhaité vous parler de ce livre, c’est aussi parce qu’il fait une analyse pertinente de la place du créationnisme et des particularités du fondamentalisme dans nos milieux.
Dans le chapitre 6, Patrice de Plunkett aborde la question « Les évangéliques sont-ils dangereux ? Faut-il en avoir peur ? »
Après avoir montré que les évangéliques ne constituent en rien un danger pour la vie politique, le journaliste aborde la question de la place de la science.
« …A ce compte, les rêves et les actes de ces évangéliques ne mettent pas en danger la vie politique, ni quoi que ce soit d’autre. Si, affirment les médias : « Ils mettent en danger la science ! » Comment le pourraient-ils ? Ici s’ouvre le débat tapageur du « créationnisme » »
Et l’auteur donne une définition brute mais vraie de ce mot :
« Qu’est-ce que le créationnisme ? Ce n’est pas le fait de croire que l’univers est créé par Dieu. C’est de croire que « Dieu a créé les espèces telles qu’on les voit aujourd’hui »(on appelle cette idée le fixisme) ; et que la vie sur Terre date de quelques milliers d’années seulement. Cette théorie contredit les données de la science : elle est donc absurde. »
L’auteur renvoie dos à dos scientistes et créationnistes
« …Environ 25% des Américains estiment pour leur part que l’évolution a été « guidée par le Créateur » : mais ils sont aussi évolutionnistes que les autres ; les amalgamer aux 29% qui nient l’évolution seraient absurde- à moins de chercher querelle à l’hypothèse Dieu sous toutes ses formes, ce qui serait quitter la démarche scientifique pour celle (philosophique) de l’athéisme. »
« …Elle (cette lecture de la Genèse) facilite la confusion qui brouille l’image du christianisme dans la société. Les publications créationnistes alignent un patchwork d’ « indices » dérisoires censés prouver que la terre n’a pas plus de six mille ans : il y a l’érosion des continents(« trop rapide »), les océans( «pas assez salés »), l’atmosphère (« pas assez d’hélium »), le charbon (« on peut le produire en laboratoire dans des délais courts »), les dinosaures (« on a trouvé l’hémoglobine d’un T-Rex), les fossiles (« on en découvre d’étranges »)… »
…Quand le public apprend que propager ces théories est considéré chez les évangéliques comme un « ministère » religieux l’image du christianisme en souffre. L’offensive créationniste des évangéliques est tombée en effet au moment où au XXIe siècle occidental revenait à la vieille idée de XIXe , selon laquelle la foi chrétienne et la science seraient incompatibles. « Elles ne le sont pas », protestaient les théologiens chrétiens, « sauf si l’on tente abusivement de les faire empiéter l’une sur l’autre ! »
Or cet abus est celui que commettent les créationnistes. Il est commis également, à l’envers, par les scientistes matérialistes. Les premiers voudraient que la science s’aligne sur leur « biblicisme » erroné. Les seconds tirent prétexte de ce « biblicisme » pour dire que le christianisme est contre la science…
…Mais aucun dogme chrétien ne s’oppose à l’hypothèse de l’évolution, ni ne contredit les sciences sur leur terrain…Ledit problème est réservé aux islamistes et à une partie des évangéliques. Le « fixisme » étant hors jeu dans le débat scientifique, les évangéliques placent ainsi leur religion dans une position intenable : tourner le dos à la culture contemporaine n’est pas la meilleure façon d’y faire entendre sa voix. »
Puisse le monde évangélique dont je fais partie méditer ces paroles !!
P236, Patrice de Plunkett fait aussi une analyse très pertinente des excès du fondamentalisme évangélique qui va bien plus loin que Calvin dans son usage de la Bible.
Pour les fondamentalistes :
« La Bible est inspirée et infaillible, en tout, dans tous les domaines y compris profanes !… Le fondamentalisme concentre le sacré dans le texte de la Bible, ce qui est calviniste. Mais il dépasse Calvin. Celui-ci disait : L’Ecriture est la seule autorité en matière de foi. Les fondamentalistes disent : elle est la seule autorité dans toutes les matières, y compris les sciences. »
Comme le disait un blogueur du site biologos que j’ai lu hier « Si c’est ça le christianisme, alors je n’ai plus qu’une seule solution, devenir athée. »