Article 16 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


 

Rappel – comparaison des génomes à des textes.

Dans les deux derniers billets de cette série, nous avons vu quelles caractéristiques nous nous attendrions à observer dans des espèces similaires si elles descendaient d’une population ancestrale commune. En nous appuyant sur notre analogie de la « copie de livre », voici ce que nous attendons :

  • Des “chapitres” et des “paragraphes” dans le même ordre : des espèces proches devraient avoir de grands blocs de séquence d’ADN dans le même ordre. Ces blocs peuvent être la copie de chromosomes tout entiers. Même si certains réarrangements sont présents, le patron global des deux génomes devrait correspondre.

 

  • Des “phrases” et des “mots” qui correspondent. Au niveau de gènes individuels, nous devrions voir qu’ils utilisent une séquence ADN identique (ou presque), même lorsqu’il n’y a aucune nécessité biologique pour cette identité.

 

  • Certaines “fautes de frappe” peuvent être partagées par les textes : si les changements de séquence (mutations) existent, nous devrions nous attendre à les voir partagés dans plusieurs exemples (s’ils sont copiés d’un ancêtre commun) ou uniques dans d’autres (si ce sont de nouvelles mutations qui sont apparues après la séparation des deux espèces).

En résumé, on s’attend à ce que les génomes des espèces qui partagent une population ancestrale commune récente ressemblent à des copies légèrement modifiées. Comme nous l’avons déjà vu, cette attente à été largement comblée lorsqu’on a comparé différentes espèces de mouches à fruits. Maintenant que nous avons compris cela, nous pouvons explorer la possibilité que notre espèce soit apparue par des événements de spéciation en faisant les mêmes types de comparaisons avec d’autres espèces.

 

Comparaison des génomes du primate au niveau des “chapitres”

La première ligne d’évidence en faveur de l’idée que les humains auraient un ancêtre commun avec d’autres formes de vie est assez direct : il y a d’autres espèces qui ont un génome quasiment identique au nôtre,  chez des grands singes comme les chimpanzés, les gorilles, et les orang-outans. Par comparaison à notre « livre », les « livres » de ces espèces correspondent au niveau du chapitre et du paragraphe : les trois espèces ont des séquences ADN qui contiennent les mêmes gènes dans le même ordre que le nôtre. Il y a des différences subtiles, bien sûr, comme des blocs de séquence qui sont réarrangés du fait que des chromosomes ont  cassé ou fusionné , comme on s’y attendait ; mais le patron général est clair. La correspondance à grande échelle de notre génome et des génomes des grands singes est connue depuis les années 1970, lorsque des chercheurs ont commencé à comparer la structure physique des chromosomes du singe et de l’humain en utilisant le microscope optique. Pour les humains et les chimpanzés, la plupart des chromosomes correspondent précisément. En d’autres termes, les deux génomes apparaissent exactement comme on le prédirait s’ils étaient des copies légèrement modifiées d’un génome ancestral récent. (Pour ceux qui seraient intéressés de voir le patron entier des génomes d’humain, de chimpanzé, de gorille et d’orang-outan, vous pouvez vous référer à l’article de  Yunis et Prakash paru en 1982 .)

Malgré l’identité évidente qui existe entre la structure de notre génome et celle des grands singes, les différences devraient être celles qui peuvent survenir par des mécanismes connus si l’existence d’un ancêtre commun est une interprétation correcte. Par exemple, certains chromosomes humains ont une région de leur séquence qui ne s’aligne pas à la séquence qui correspond dans le chromosome des chimpanzés. Lorsque ces chromosomes sont colorés par un colorant qui se fixe sur  l’ADN et sont examinés sous un microscope, le colorant produit des patrons en bande qui permettent aux séquences d’ADN d’être comparées au niveau d’organisation des « chapitres » :

I 1

(Image redessinée à partir de Yunis and Prakash, 1982).

Sur la longueur, les chromosomes correspondent en majorité, à part la région entourée en rouge. Un examen plus approfondi cependant révèle que même à l’intérieur de cette région, il y a une correspondance – mais que la séquence est renversée entre les deux chromosomes. Ce patron est expliqué par ce qu’on appelle un événement d’inversion du chromosome – un type de mutation où l’ADN se casse et se rattache à deux endroits pour « retourner » la section d’un chromosome :

 I 2

Ces types de mutation sont plutôt communs et ont été observés de nombreuses fois dans des organismes de laboratoire et chez des humains (où un individu aura une telle mutation sur l’un de ses chromosomes). Tant que les lieux de cassure de l’inversion ne détruisent pas un gène nécessaire ou ne créent pas un autre problème, ces types de mutation sont relativement inoffensifs pour l’individu qui les porte. Quand on compare les génomes de l’humain et du chimpanzé, plusieurs chromosomes présentent ces inversions, et celles-ci contribuent aux différences subtiles entre les deux génomes.

La plus grande différence qui existe entre les humains et les grands singes au niveau d’organisation du chromosome est une correspondance entre un chromosome du génome humain (le deuxième) et deux chromosomes plus petits chez les grands singes :

I 3

 

(Image redessinée à partir de Yunis and Prakash, 1982).

C’est cette différence qui donne un nombre différent de chromosomes aux humains et aux chimpanzés : les humains ont 23 paires de chromosomes (46 en tout) alors que les chimpanzés en ont 24 (48 en tout). Ce patron suggère immédiatement deux possibilités, si les humains et les chimpanzés partagent effectivement une population ancestrale commune. La première option est qu’un chromosome se soit cassé et séparé en deux chromosomes dans un lignage mais pas dans l’autre. La seconde est que deux chromosomes plus petits aient fusionné pour ne former plus qu’un dans un des lignages. En se rappelant notre analogie de la « faute de frappe », nous pouvons représenter ces deux options comme des événements uniques qui altèrent un « texte » original. Dans la première option, la population originale a 46 chromosomes, et le lignage qui conduit aux chimpanzés a un événement de cassure d’un chromosome.

I 4

 

Selon la deuxième option, la population d’origine a 48 chromosomes et il y a eu un événement de fusion sur le lignage qui conduit aux humains :

I 5

 

Les deux types d’événements sont possibles. Comme nous l’avons vu quand nous avons examiné des fautes de frappe dans des livres copiés, la façon la plus facile de déterminer le texte original est d’observer autant de copies que possible. Les autres grands singes (gorilles et orang-outans) ont aussi les deux chromosomes plus petits (48 au total), ce qui suggère que c’est là la structure d’origine qui était présente dans la population ancestrale commune des humains et des singes. Pour expliquer le patron par des événements de cassure de chromosome, cet événement rare aurait dû arriver de façon répétée dans plusieurs lignages exactement au même endroit :

 I 6

Dès lors, l’explication la plus économique est que le deuxième chromosome humain résulte d’un événement de fusion. Peut-être vous rappelez-vous avoir regardé des films de cellules qui se divisent en classe de biologie au lycée,  avec l’image des chromosomes qu’elles entraînent. Ces chromosomes se séparent vers les pôles de la cellule qui se divise en utilisant une séquence ADN spéciale qu’on appelle un centromère. Cette séquence permet à la machinerie cellulaire d’attraper le chromosome et de l’entraîner.

Cette observation fait une prédiction : si le deuxième chromosome humain est effectivement le résultat d’une fusion entre deux chromosomes plus petits, il aurait eu deux centromères immédiatement après l’événement de fusion. L’un des centromères aurait probablement été rendu non fonctionnel par la mutation peu après, puisqu’en avoir deux serait redondant. Le deuxième chromosome humain n’a qu’un centromère actif, qui s’aligne avec le centromère du plus petit des deux chromosomes du chimpanzé. Quand le projet du génome a séquencé le deuxième chromosome humain, on a trouvé les résidus d’un second centromère précisément à l’endroit où on l’aurait prédit si ces chromosomes étaient en fait des copies modifiées :

 

D’ailleurs en passant, nous savons aussi que cet événement de fusion précède l’origine de notre espèce, puisque la fusion du deuxième chromosome est aussi présente chez les hominidés Denisova, une espèce plus proche de nous que celle des chimpanzés. Cela indique que l’événement de fusion est une « faute de frappe » partagée par nous et d’autres espèces proches. Des travaux récents ont documenté de manière détaillée les événements qui ont formé cette région de notre génome pour ceux qui désirent plus d’informations.

 

En résumé

Dans l’ensemble, ce que nous observons en comparant la structure globale du génome humain à à la structure des génomes des autres primates, c’est que

  • (a) ces génomes ont effectivement les caractéristiques qu’on prédirait s’ils étaient les copies d’un génome ancestral commun et
  • (b) les différences que nous observons peuvent être facilement expliquées par des mécanismes bien connus.

Ces observations soutiennent fortement l’hypothèse selon laquelle notre espèce a émergé par un processus d’évolution. Dans le prochain billet, nous examinerons le niveau du « chapitre » de l’organisation du génome pour voir si la séquence détaillée de gènes individuels soutient aussi cette hypothèse.


 


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