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Unification Relativité Générale et Mécanique Quantique


Crédit illustration : Andreus/123RF

 

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Dès 1916, tandis que la Relativité Générale (RG) et Mécanique Quantique (MQ) étaient encore en culottes courtes, Einstein remarquait[1],

La théorie quantique devra non seulement modifier l’électrodynamique de Maxwell mais aussi la nouvelle théorie de la gravitation.

 

RG et MQ doivent pouvoir s’unifier. Ça, on le sait. Cela fait plus de 100 ans qu’on y pense et pourtant, le mariage n’est pas encore proclamé. Mais pourquoi tarde-t-on tant ?

Il y a évidemment une difficulté conceptuelle : si le monde était une pièce de théâtre, la RG en décrirait la scène tandis la MQ en décrirait les acteurs.

Mais je voudrais parler d’autre chose encore.

 

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Le bon vieux temps

Il est une tricherie à laquelle peu de cruciverbistes résistent : aller voir mine de rien la solution à la fin du journal. Evidemment, c’est plus facile comme ça.

Jusque, disons, à la louche, la fin du siècle dernier, les physiciens pouvaient souvent se permettre d’imiter ces cruciverbistes impatients : ils avaient accès à la solution des mots croisés, c’est à dire, aux tests expérimentaux ou observationnels de leurs théories.

  • Lorsqu’en 1913 Niels Bohr propose son modèle de l’atome, il suffit de chauffer un tube rempli d’hydrogène et d’analyser la lumière qu’il émet pour savoir si Bohr se trompe. On peut faire ça dans une cuisine, et ça ne coûte pas cher.
  • Lorsqu’en 1915 Einstein accouche de la RG, de minutieuses observations de l’orbite de Mercure sont déjà là, prêtes à mettre le bébé à l’épreuve. Et ça marche. Quatre petites années plus tard, Eddington mesure la déviation de la lumière d’une étoile quand elle passe près du soleil, déviation prévue par la théorie d’Einstein et inconnue chez Newton. Là encore, ça marche.
  • Lorsqu’en 1928 Dirac prévoit l’existence de l’antimatière en mariant la jeune mécanique quantique (MQ) avec la relativité spéciale (celle de 1905, pas la RG de 1915), il lui suffit d’attendre 4 ans pour que le positron, antiparticule de l’électron, soit observé.
  • Lorsqu’en 1964 Peter Higgs et d’autres prévoient l’existence du boson de Higgs, il leur faudra attendre 2012 pour lui dire bonjour en vrai. C’est un peu plus long, certes, mais là aussi, la Nature aura pu donner son avis.

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La liste est bien plus longue mais je voudrais à ce stade faire 2 remarques :

  1. L’expérience ou l’observation sont des solutions des mots croisés un peu bizarres : à strictement parler, elles ne vous disent pas si vous avez raison. Mais elles peuvent vous dire si vous avez tort. C’est déjà pas mal. Ça permet d’élaguer rapidement les branches théoriques stériles.
  2. Les théories peuvent être éprouvées de 2 manières. Soit elles prédisent l’existence pure et simple d’entités non prévues par la physique connue à l’époque, comme l’antimatière[2] ou bien les raies spectrales de l’hydrogène. Soit elles prédisent des déviations, observables, des prédictions de la physique connue à l’époque. Par exemple, l’orbite de Mercure ne suit pas tout à fait les lois de Newton. La différence est faible mais bel et bien mesurable, même il y a 100 ans.

Tant la RG comme la MQ ont bénéficié dans leur enfance, et même leur adolescence, de l’accès aux solutions des mots croisés. Et c’est ça qui a changé.

 

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C’est plus comme avant ma bonne dame

Comme on l’a vu, une nouvelle théorie prévoit ou bien l’existence de trucs encore inconnus, ou bien l’échec de théories connues à décrire certains phénomènes. Par exemple, la gravitation de Newton ne peut pas prédire correctement l’orbite de Mercure. Newton sort légèrement de son domaine de validité dans ce cas-là. Mais là où Newton échoue, Einstein réussi. L’écart entre les deux prédictions est assez léger, mais tout à fait mesurable. Au rayon de la prédiction de trucs inconnus, la RG prévoit l’existence d’ondes gravitationnelles[3], qu’on a récemment détectées. La RG gagne ainsi sur tous les tableaux[4].

Quelle est donc la prochaine frontière théorique ? Le mariage de la RG et de la MQ bien sûr. Plein de gens bossent là-dessus, avec des candidates comme la théorie des cordes, la gravitation quantique à boucle, etc. Un vrai zoo. Pourquoi un zoo ? Parce que jusqu’à maintenant, il n’y a pas moyen de mettre la main sur la solution des mots croisés.

Les candidates prédisent-elles des trucs encore inconnus ? Oui. Le multivers par exemple. Mais pas moyen (pour le moment ?) d’observer ce truc-là.

 

Prédisent-elles donc des situations où la RG se plante ? Oui, mais dans des circonstances si extrêmes qu’on ne peut (re-pour le moment ?) ni les reproduire en laboratoire, ni trouver un endroit où l’on pourrait les observer dans l’univers. Un peu comme si Newton avait pondu une théorie nécessitant une précision du milliardième de seconde pour être mise à l’épreuve. Qu’aurait-il pu faire pour la mettre à l’épreuve ? Rien. Au XVIIIe siècle, aucun moyen de mesurer le temps avec une telle précision. Il aurait été condamné à en rester au stade purement formel.

Dans ces conditions, pas étonnant que les candidats au mariage de la RG et de la MQ se comptent par dizaines. En l’absence de juge (expérience ou observation), les branches croissent dans tous les sens, et il n’y a pas moyen de savoir lesquelles couper.

 

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On fait quoi alors ?

Pourquoi donc n’a-t-on pas encore mis la main sur la « théorie du tout » après 100 ans de recherche ? Une raison majeure à mon sens est simplement que l’on n’arrive pas à mettre les candidats à l’épreuve. Supposons A et B deux d’entre eux, il s’agit d’imaginer une expérience ou une observation capable de les départager. Ce qui veut dire,

  • Faire progresser les techniques de mesures pour que le pouième d’attoseconde de différence entre les prédictions de A et celles de B dans je ne sais quelle expérience, soit mesurable sans ambiguïtés.
  • Observer un phénomène naturel si extrême que l’écart entre les prédictions des deux théories soit clairement mesurable.

Si vous avez des idées, faites signe ! Il y a probablement un billet pour Stockholm à la clé.

 

 


Notes

[1] Einstein, Albert, Näherungsweise Integration der Feldgleichungen der Gravitation, Sitzungsberichte der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften (Berlin), 688-696, 1916.

[2] Je laisse le lecteur philosophe se demander si, selon la formule de Sartre dans l’Existentialisme est un Humanisme, « l’existence précède l’essence » ne se vérifie vraiment que pour l’être humain.

[3] La première détection date de 2015. On en est maintenant à 10.

[4] Notons que les confirmations observationnelles ou expérimentales de la RG sont tellement nombreuses que personne n’a attendu les ondes gravitationnelles pour incorporer les effets RG dans la techno de votre GPS.


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