Crédit illustration : MLA style: The Nobel Prize in Physics 2022. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2022. Wed. 5 Oct 2022.

 

Le prix Nobel de physique 2022 vient de tomber. Il est décerné à Alain Aspect (cocorico), John Clauser et Anton Zeilinger, « pour des expériences avec des photons intriqués, établissant la violation des inégalités de Bell et ouvrant la voie à la science de l’information quantique ».

 

C’est quoi au juste ?

On y va.

Les lois de la mécanique quantiques sont formelles : on ne peut pas mesurer en même temps la position et la vitesse d’une particule. L’acte même de la mesure perturbe le système, que je le veuille ou non[1]. Si donc je mesure la position je vais modifier la vitesse, et vice versa.

 

Einstein et l’expérience de pensée EPR

Pourtant, en 1935, Einstein et 2 copains, Podolsky et Rosen, imaginèrent l’expérience suivante (« expérience EPR »). Supposons que je fasse partir du même endroit 2 particules, en sens inverse. Si je mesure la position de celle partie à droite, je peux en déduire la position de celle partie à gauche, sans même y toucher. Et si maintenant je mesure la vitesse de celle de gauche, j’en déduis la vitesse de celle de droite, sans y avoir re-touché.

Au final cette expérience de pensée montre que je peux en principe déterminer avec une précision arbitraire la vitesse et la position d’une particule, en ne faisant qu’une seule mesure sur chaque particule. La mécanique quantique serait-elle donc incomplète ? La question posée par l’article d’Einstein fut baptisée « paradoxe EPR ». Une question qu’un tas de gens allaient se poser… jusqu’à l’expérience d’Alain Aspect.

 

Vérification par l’expérience par Alain Aspect

Comment la trancher ? Qui a raison, la mécanique quantique ou Einstein ? Il suffit de faire l’expérience. Ce qui est merveilleux en physique, c’est que lorsqu’on peut faire une expérience, on peut avoir une réponse définitive à une question. Faire une expérience, c’est en fin de compte demander son avis à Dieu.

Verdict de l’expérience d’Alain Aspect : c’est la mécanique quantique qui a raison. Einstein avait tort.

 

Les compléments de Clauser et Zeilinger

Il aura fallu du temps pour en arriver là. L’article d’Einstein date de 1935. En 1964, l’anglais John Bell publia ses « inégalités ». Une mise en forme, en quelque sorte, de l’expérience de pensée d’Einstein rendant envisageable des mesures précises, quantitatives, permettant de trancher la question. En 1969, John Clauser proposa l’expérience qu’Alain Aspect allait réaliser en 1982. Cette dernière laissait une petite place au doute, qu’Anton Zeilinger et son équipe allaient combler en 1998[2]. De 1935 à 1998 : 53 ans de travail.

Pour donner un sens à tout cela, je recommande Feynman.

 

La voie ouverte par Einstein et l’intérêt de ce prix Nobel

Einstein avait donc tort. Ceci dit, c’est sa profondeur qui accoucha de l’expérience de pensée de l’article de 1935, qui allait donner lieu à la confirmation expérimentale de la « non-localité quantique », l’une des notions les plus révolutionnaires des derniers siècles, qui à son tour, comme le dit le texte du comité Nobel, allait ouvrir la voie à la science de l’information quantique. Un article clé de l’histoire de la physique, donc, qui en dépit de parier sur le mauvais cheval, est maintenant le plus cité d’Einstein !

Les gens géniaux sont intéressants, même quand ils se trompent.

 

 


Notes

[1] Il ne suffit pas de faire une mesure très légère pour résoudre le problème. Il est de nature bien plus profonde, mathématique même (une sombre histoire de matrices qui ne commutent pas).

[2] Zeilinger a aussi beaucoup contribué aux développements rendus possibles par l’expérience d’Aspect, qui ont donné naissance à l’informatique quantique (merci Luc Bourhis pour le tuyau).