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Introduction (Science & Foi)

Nous félicitions Joël Francis Ohandza qui vient de soutenir une thèse avec succès en Théologie Fondamentale à la Faculté catholique de Théologie de Milan. Joël nous fait l’amitié de partager son sujet avec les lecteurs de Science & Foi car il concerne un domaine largement discuté dans nos colonnes, celui des questions théologiques d’une approche qui cherche à articuler création et évolution.

Comme invité sur ce blog, les propos de Joël n’engagent pas Science & Foi. Nous avons précisé « ce que nous croyons » dans cette rubrique.

 

1. Le paradigme évolutif en question

Trois paradigmes évolutionnistes, de nature scientifique avec la théorie de l’évolution, culturelle avec la question écologique et philosophique avec la métaphysique du process, ont mis à rude épreuve, en Occident, l’idée même de providence divine et ont présidé à une interprétation nouvelle du réel en tant que dynamisme naturel, historique et matérialiste d’autocréation.

La révolution épistémologique et culturelle du modèle évolutif se distingue, d’une part, dans sa critique de la métaphysique occidentale traditionnelle, cette grande vision du monde de nature dualiste dans sa séparation ontologique entre la matière et l’esprit. Ainsi, avec la théorie de l’évolution, l’émergence de la conscience n’est plus perçue comme un saut ontologique qui distinguerait radicalement l’homme de l’animal, car le reste du vivant aussi est doté d’une certaine forme de  rationalité[1]. L’origine de la conscience n’est donc pas transcendante, elle est  plutôt biologique.

D’autre part, le paradigme évolutif a contribué a émancipé méthodologiquement la compréhension scientifique du réel de l’hypothèse d’une force transcendante qui gouvernerait les phénomènes naturels en exerçant sur ces derniers une providence créatrice infaillible. L’évolutionnisme aurait donc rendu futile la modalité explicative d’un Dieu créateur, car d’après le principe évolutif, la nature vivante, en l’occurrence, évolue se transformant de manière autonome et aléatoire dans la concaténation dramatique de ses relations et de ses interactions, et dans la puissance diffuse de ses processus contingents.

L’évolution, de ce point de vue, n’est déterminée par aucun ordre et ne suit pas un seul chemin. Aussi, l’ordre dans la nature n’est qu’apparent et les choses ne sont pas aussi bien faites qu’on le pense. A la vérité, là où on verrait des catégories d’individus, les darwiniens y voient plutôt des singularités irréductiblement différentes et uniques. Le concept d’espèces est donc juste une convention de langage, car dans la nature, il n’y a que des variations, sans typologie prédéfinie, dont la régularité apparente est déterminée par la sélection naturelle dont la modalité opérationnelle fait intervenir une multitude de facteurs et de paramètres biologiques, écologiques et éthologiques imprédictibles. Ainsi, trouvera-t-on toujours dans la nature des individus semblables du fait de la sélection naturelle (continuité), qui pourtant ne sont pas identiques du fait de leur capacité naturelle à varier (discontinuité).

 

2. Pertinence d’une théologie de l’évolution

Une telle conception scientifique qui ne fait plus du réel un cadre harmonieux, ordonné et finalisé par une entité providentielle transcendante interpelle la théologie dans sa dimension épistémologique et apologétique. Cette dernière devrait pouvoir montrer que l’intelligibilité d’un processus naturel chaotique et contingent qui se conserve en se renouvelant fortuitement jusqu’à faire émerger biologiquement la conscience chez l’homme et chez l’animal, ne nie pas nécessairement la pertinence d’une providence divine en tant qu’horizon transcendantal de la possibilité de tout type de phénoménalité.

Dans l’analyse de cette problématique, nous pourrions convoquer la méthode de la théologie philosophique, qui nous vient des milieux anglo-américains. Elle a le mérite, dans l’élaboration d’une doctrine sur Dieu, d’avoir motivé une théologie nouvelle qui voudrait repenser Dieu, cette fois-ci, en articulant entre lui et le monde non plus simplement un rapport de dépendance, mais désormais d’interdépendance réciproque. Ainsi, Dieu serait l’horizon stratégique de l’objectivation et de l’actualisation des phénomènes naturels. Il serait aussi l’ouverture transcendantale au cœur même de la matière en tant que principe de son devenir. L’expérience continuerait cependant à se déployer dans sa liberté radicale, dans et par un horizon totalisant et immanent qui la transcende et qui est la condition de sa possibilité[2].

A l’aune de cette nouvelle vision scientifique du réel en tant que dynamisme naturel d’auto-organisation, le Dieu de la théologie de l’évolution ne serait plus créateur d’un cosmos, mais plutôt d’une cosmogénèse, c’est-à-dire, d’un processus évolutif cosmologico-biologique dramatique qui se déploierait spontanément, de manière imprévisible, contingente et libre à l’intérieur d’un horizon transcendantal persuasif, dynamique et créatif que la théologie appelle l’amour-énergie de Dieu. Dit autrement, l’évolution étant pour la théologie le signe d’une manière particulière de créer, Dieu n’est plus créateur parce qu’il est absolu, c’est-à-dire, seul avec lui-même et tout pour le monde, mais plutôt parce qu’il est relation transcendantale, c’est-à-dire, Dieu-avec-le-monde. Il en ressort, comme conséquence originale, que Dieu ne serait plus créateur, il ne serait même plus Dieu indépendamment du monde et le monde n’existerait pas si Dieu n’avait pas décidé librement de créer, c’est-à-dire, d’ouvrir, en lui, un espace vital, mieux, un horizon créatif et dynamique de radicale liberté avec ses créatures, car sans liberté actualisée, tout phénomène de nouveauté authentique serait impossible et impensable et on ne pourrait pas parler de création, ni même d’évolution en tant que mode divin de créer.

Dieu est donc ce qui garantit que quelque chose arrive, sans pour autant déterminer ce qui va arriver et comment cela va arriver. C’est en cela que l’histoire est ouverte. Elle n’est déterminée par aucune providence infaillible et efficace qui manipulerait le cours des évènements à sa guise. L’histoire  naturelle se crée, se construit et prend forme graduellement, fortuitement et dramatiquement au gré de l’actualisation originale des possibilités du monde dans un fond de possibilités infinies qu’est l’horizon transcendantal rendu possible par Dieu.

L’événement christologique, dans son assomption trinitaire, est la figure qui rend compte de manière excellente de l’interdépendance réciproque entre création et évolution, entre Dieu et le monde. Dieu est présent dans le monde, d’une part, comme horizon transcendantal qui se donne en toute chose.  d’autre part, en tant que principe d’unicité et d’unité des entités du réel.

Dieu est aussi présent dans le monde en tant que logos incarné en la personne de Jésus-Christ dont la mort et la résurrection sont la promesse et la garantie que l’horizon fini de l’évolution dans ses possibilités propres, imparfaites et limitées, trouvera dans la création nouvelle son accomplissement définitif.

Il ressort de ceci, et c’est notre conviction profonde, qu’au final, puisque Dieu est lié au monde dans une relation de profonde interdépendance, tout ce qui est perdu sera accueilli et sauvé dans la vie divine où rien de ce qui peut être sauvé ne sera perdu. En effet, si Dieu est créateur en tant qu’il se définit désormais comme relation-avec-le-monde, mieux encore, en tant qu’il est incarnation dans le monde qui s’incarne aussi en lui, il ne pourra jamais laisser ce qui le constitue aussi comme Dieu aux prises avec la mort et le néant. En d’autres termes, étant donné que Dieu est relation-même-avec-le-monde, la vie finie du monde est intégrée dans la vie infinie de Dieu, de telle sorte qu’en Dieu, l’homme, et par extension le monde, ne mourra jamais, n’en déplaise aux apôtres du catastrophisme et aux théoriciens de la mort thermique de l’univers.

La théologie de l’évolution, par contre, bien qu’assumant l’évidence de l’évolution,  oriente la réflexion eschatologique dans le sens de l’hypothèse d’une unité du réel, garante et condition de possibilité de tout devenir, et rédemptrice du processus évolutif qui ne s’achèvera pas avec le néant, mais qui sera sauvé par ce qui l’a rendu possible.

Le salut de l’homme, et du monde par extension, dont fait allusion la théologie – et dont l’intelligibilité épistémologique échappe à la compétence de la science – est l’avènement d’une création nouvelle qui consacrera l’homme non plus seulement comme « être-dans-le-monde », mais aussi comme « être-dans-l’éternité-de-Dieu »[3].

Quelque soit le destin funeste que la science prédirait à l’univers, la foi, en revanche, croit qu’à la fin, en Dieu, tout sera sauvé. C’est cette espérance qui fonde l’engagement politico-écologico-éthique du croyant à vivre ici et maintenant comme si le meilleur qu’il espérait s’était déjà réalisé.

On ne peut donc plus parler de fin du monde comme néant, mais plutôt de fin comme unité cosmique. De ce point de vue, la fin n’est plus vraiment la fin, elle est un nouveau commencement dans la totalité cosmique réalisée. C’est cela la création nouvelle.

 

3. Considérations finales

Nous sommes conscients, pour finir, que tout discours théologique sur le devenir cosmologique et biologique  est une approche non expérimentale sur un domaine dont la science de l’évolution a déjà élucidé les mécanismes. Ainsi, a-t-elle réussi à expliquer la nature – jusqu’à l’émergence de la conscience et de la morale – par les seules ressources de la nature.

Cependant, de notre point de vue, la théorie scientifique de l’évolution ne clos pas le débat sur la nature fondamentale du réel et ne répond pas à toutes les questions fondamentales et existentielles que l’homme se pose. A cet égard, l’homme est aussi un être métaphysico-cosmique en tant que son humanité se singularise parce qu’en lui se pose intuitivement la question du sens et de l’accomplissement de son existence en relation avec le tout cosmique.

La rationalité scientifique ne peut donc pas tout expliquer et il n’existe pas encore d’option épistémologique qui dise la totalité du réel. Tout n’est pas dans la science et tout n’est pas dans la réflexion philosophico-théologique non plus.  La question, par exemple, de l’origine de l’univers reste ouverte autant pour la science que pour la religion. En l’état actuel de la recherche en astrophysique, la science ne sait pas comment l’univers est né. Il serait apparu à partir de fluctuations quantiques à un moment où les catégories d’espace et de temps ne voulaient encore rien dire. La question de l’origine de l’univers, d’un point de vue scientifique, ne pourra donc être élucidée que lorsqu’on résoudra enfin l’équation de la gravitation quantique, ce qui semble aujourd’hui conceptuellement impossible. Or, si on ne connait pas scientifiquement comment une chose est apparue,  on ne pourrait logiquement en prédire scientifiquement la fin.

La religion, en revanche, croit rationnellement que l’univers a une origine et aura une fin-commencement dans l’éternité relative de Dieu.

Savoir scientifique et foi religieuse sont donc deux niveaux de connaissance dont il faut respecter l’irréductibilité épistémologique, sans pour autant les mettre en conflit, tant que chacun, bien sûr, reste dans les limites de ses compétences et renonce à la prétention d’avoir une parole définitive sur le réel qui reste un horizon naturel d’autocréation fécondé par le mystère qu’est Dieu.

 


Notes

 

[1] Cfr. c. darwin, La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, Ed. Syllepse, Paris 20002, 184.

[2] Cfr. p. gisel, Sens et savoir du monde. Quel discours théologique sur la création ?, «Laval Théologique et Philosophique» 52 (1996) 357.

[3] Cfr. j.b. cobb-a. trocmé, La théologie du processus et la doctrine de Dieu, «Revue d’histoire et de philosophie religieuse» 62-1 (1982) 2.