Réductionnisme en science, peut-on réduire l’homme qu’à des réactions physico-chimiques ?

Présentation de l’article par Science & Foi/Marc Fiquet

Michael Poole, chargé de Recherche en Science et Religion au King’s College de Londres est l’auteur de cet article que nous  avons traduit (merci à Hélène Mayhew) et dont je voudrais reprendre ici les éléments clés afin d’engager une discussion à ce sujet dans notre espace blog.

Quand il s’agit de réductionnisme, il faut bien savoir de quoi on parle, c’est comme pour le naturalisme. Un croyant par exemple adhérera sans problème au naturalisme méthodologique inhérent à toute démarche scientifique objective, mais il n’acceptera pas  le naturalisme philosophique qui est une position philosophique qui affirme qu’il n’existe rien  en dehors de la nature, qu’il n’y a rien de surnaturel.

 

Le réductionnisme : Aide ou obstacle en science et religion ?

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> Discussion

 

L’homme n’est-il qu’un ordinateur physico-chimique ?

Que ça soit via la recherche en génétique ou par les neurosciences, certains ont voulu réduire l’homme et toutes ses réalités comme ses souvenirs, ses émotions, son libre arbitre etc.. à une super machine neuronale régie au final par les lois de la physique.

Michael Poole commence par citer deux spécialistes de la génétique, le premier n’est pas moins que l’illustre découvreur de la structure de l’ADN en double hélice, Francis Crick, le deuxième le directeur du programme de séquençage du génome humain Francis Collins.

L’auteur dans cette première partie de l’article nous présente donc deux scientifiques reconnus dans le domaine de la génétique avec deux visions du monde opposée. Le premier est matérialiste, le second a cheminé de l’athéisme à la foi chrétienne. Il ne s’agit pas ici de juger leurs travaux scientifiques sur lesquels il y aura peu ou pas de discussions, mais plutôt de leurs épanchements philosophiques  qu’ils livrent chacun dans des publications grand public.

 

Notez l’importance du mot HYPOTHÈSE dans le titre du livre de Crick. Ce dernier ne présente pas un modèle scientifique, mais il livre une réflexion, un point de vue philosophique que ses travaux scientifiques ont éveillé en lui. Ce qui est stupéfiant selon lui c’est que l’homme ne soit en fait RIEN DE PLUS qu’un « vaste assemblage de cellules nerveuses et des molécules ».

Dans sa vision théiste du monde, Collins lui est stupéfait par « l’élégance et la beauté du génome » (d’où le titre de son livre – en anglais le langage de Dieu) et y voit une opportunité pour l’homme via la médecine de contribuer à sa mission de guérison.

Voir ici un article sur le livre de Collins 

 

Pour M. Poole, quelque soit notre motif de stupéfaction, l’affirmation réductionniste que nous ne serions rien de plus qu’un paquet de neurones soulève un enjeu théologique.

 

Le réductionnisme c’est quoi ?

Si vous avez lu l’article, vous savez que le terme réductionnisme s’apparente généralement  au réductionnisme ontologique qui est sa forme la plus extrême, alors que le réductionnisme méthodologique est au cœur même de l’entreprise scientifique et ne pose pas de défi particulier à la foi religieuse (de même que le réductionnisme épistémologique que nous n’aborderons pas ici pour des questions de simplification).

 

Le réductionnisme méthodologique

Le réductionnisme méthodologique consiste à décomposer les « touts » complexes en plus petites unités intelligibles pour en comprendre l’ensemble. Autant dire qu’il constitue le quotidien des scientifiques que ça soit en biologie ou en physique, en tout cas dans une certaine mesure.

 

Le réductionnisme ontologique

Le réductionnisme ontologique (ontologie = être) veut insister sur l’être des choses.  Il ne s’agit plus d’un principe méthodologique mais d’une croyance métaphysique (on parle parfois de réductionnisme métaphysique). On reconnait cette prise de position par un verbiage spécifique que Donald MacKay a parodié sous la dénomination du « nothing-buttery » soit « « le rien d’autre que » ou on pourrait dire « le rien qu’isme », pour insister sur la manie de tout réduire à rien d’autre que ou à rien que !

En effet, en prenant l’exemple d’un livre, tout le monde s’accordera pour en faire la description scientifique suivante « Ce livre est du carbone sur de la cellulose ». Mais qui serait d’accord avec l’assertion suivante : « Ce livre n’est rien d’autre que du carbone sur de la cellulose » ? Quid de son récit, du but qu’avait l’auteur en l’écrivant ?

 

L’émergence

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette étude de la nature « par petits morceaux »  n’est pas exempte de difficultés. Ce que Poole dans son article en page 3, au paragraphe Émergence appelle pudiquement « un piège possible » s’avère en fait un véritable sujet de débat au sein de la communauté scientifique.

voir ici un petit état des lieux de la question :  Réductionnisme contre intégrisme/émergentisme en biologie

 

En fait l’émergentisme est une école concurrente du réductionnisme  méthodologique depuis près d’un siècle qu’aucun consensus n’a encore tranché. son adage est :

le tout est plus que la somme des parties

 

Les tenants de cette position concernant la problématique corps/esprit voudraient proposer une position médiane entre le dualisme (cartésien) et la proposition réductionniste qui ramène tout à la matière. Elle décrit l’émergence de nouvelles propriétés aux niveaux supérieurs des structures  qui ne pourraient être entièrement expliquées que par ses constituants physiques sans tenir compte de leur organisation. Une caractéristique de l’émergence est qu’elle stipule qu’il n’est pas possible de connaître ces nouvelles propriétés à l’avance à partir d’un niveau inférieur puisqu’elles dépendent de l’organisation du niveau supérieur.

Dans les faits, entre les 100% réductionnistes et les 100% émergentistes, il existe tout un panel de positions intermédiaires parmi les scientifiques, c-a-d ceux qui acceptent une réduction jusqu’à un certain niveau tout en adhérent au concept de l’émergence.

 
Pour l’auteur, l’émergence offre une opportunité évidente pour un dialogue entre science et théologie alors que le réductionnisme montre les limites dans lesquels il s’enferme d’emblée. En prenant l’exemple d’une étude de deux livres différents (une Bible et un livret des horaires de trains) la première méthode nous alertera sur le sens et le but des ouvrages, la deuxième n’y verra que de l’encre et du papier.
 
Cependant il avertit que les questions de sens et de but ne sont pas l’objet direct de la science mais de la théologie. D’où l’intérêt du dialogue.

Les enjeux du réductionnisme ontologique

Bien sûr, en reprenant l’image du livre, ça parait évident, on sait qu’il y a un auteur, que les mots expriment un message, certainement un but.

Mais cela nous paraîtrait vraiment ridicule si l’on nous imposait de considérer les livres uniquement d’un point de vue scientifique n’est-ce pas ? « Voici un livre, le microscope qui va avec ainsi que la batterie de produits chimiques pour les analyses, passe un bon moment ! »

C’est pourtant ce que propose le réductionnisme ontologique vis à vis de l’étude de la nature et de l’homme en affirmant que nous ne sommes rien d’autre qu’un paquet de neurones et qu’il n’existe rien en dehors du monde naturel qui nous entoure. Ce qui est paradoxal dans cette démarche c’est qu’elle affirme que la science est la seule voie qui compte pour apprécier les choses du monde sans pouvoir le démontrer !

 

le réductionnisme ontologique est parfois sous-entendu et on pourrait presque le confondre  avec une démarche approuvée par la science. Dans la présentation qu’en fait M. Poole à travers de la définition de Ian Barbour en page 2, il ne faut pas s’y méprendre, la première définition est bien celle du réductionnisme ontologique qui voudrait sous entendre que la religion N’EST QUE de la psychologie en passant par la biologie jusqu’à aboutir aux atomes et aux lois de la physique.

Ensuite il enchaîne sans transition avec le fait que « des composants chimiques tels que le sel ordinaire et l’alcool à brûler peuvent être expliqués comme étant constitués de composants plus petits, tels que le sodium, le chlore, le carbone [etc..] » ce qui correspond ici à la définition du réductionnisme méthodologique partagé par bon nombre de scientifiques, ce qui fait dire à l’auteur :

Rien de tout cela ne semble particulièrement menacer les croyances religieuses et cela n’est d’ailleurs pas le cas.

Le naturalisme

Par son sous-entendu métaphysique, le réductionnisme ontologique est  la voie royale ouverte vers le naturalisme (philosophique) poursuit l’auteur,

hypothèse selon laquelle tout ce qui existe se prête à l’application des méthodes scientifiques.

 

Dans l’esprit de plusieurs, cette définition pourrait paraître officielle et correcte pour définir la démarche scientifique, or là encore il s’agit d’un biais philosophique et non pas d’une position neutre de la science.

l’auteur s’empresse de rectifier que la science n’a pas la prétention d’étudier tout ce qui existe mais ce qui est naturel et de citer le programme national officiel anglais qui admet les limites de la science, c’est-à dire qu’il existe  des questions hors dans son domaine, pour lesquelles elle n’a aucune compétences et pour lesquelles elle n’en n’aura jamais :

Les élèves doivent apprendre (…) qu’il y a certaines questions (…) que la science ne peut pas aborder

Aussi la science s’intéresse à des causes immédiates (ou secondes) et la théologie s’intéresse aux causes premières comme l’existence de Dieu.

Si la science est l’étude du monde naturel, il semble vain d’étudier quoi que ce soit qui ne révèle pas de l’état naturel. La quête religieuse contient un questionnement qui s’attache à savoir si autre chose (Dieu ?) existe que le monde naturel auquel celui-ci devrait son existence ; et il ne sert à rien de se tourner vers la science – l’étude du monde naturel – pour répondre à la question : « existe-t-il autre chose que le monde naturel ? » !

homme neurones adn génétique

 

Conclusion

M. Poole termine sur ces remarques :

Les tentions entre science et religion interviennent quand la démarche scientifique du réductionnisme méthodologique est contaminée par le « rien d’autre que » du réductionnisme ontologique.

La science n’est pas intrinsèquement  porteuse du réductionnisme ontologique, il s’est invité insidieusement dans débat dès le début.

Ce qu’il nous faut retenir, c’est que le réductionnisme méthodologique qui consiste à analyser le fonctionnement de la nature par ses composants les plus petits est une expérience qui peut s’avérer enrichissante pour la compréhension du monde naturel dans la mesure ou le concept d’émergence reste intégré au processus de recherche. Mais dès l’instant où l’on introduit le vocable rien d’autre que (Il n’existe rien d’autre que), nous quittons le domaine de la science pour rejoindre celui de la métaphysique.

Il ne faudrait pas en déduire que la science et la philosophie ou la théologie (la religion) n’ont rien à se dire. L’objectif de cet article est de montrer que le rien d’autre que ne s’inscrit pas dans le cadre de la démarche scientifique, le réductionnisme ontologique est basée sur une vision du monde naturaliste au sens philosophique du terme et engage donc des discussions sur le terrain de la métaphysique.

 

Le réductionnisme : Aide ou obstacle en science et religion ?