Minerai d’uranium – Crédit : vladvitek depositphotos

La problématique : l’âge de la terre

Une des hypothèses proposées par les tenants d’un âge jeune de la terre pour expliquer les datations anciennes obtenues par les méthodes nucléaires est que les constantes fondamentales de la physique ont pu varier au cours de l’histoire de la terre.

Un évènement exceptionnel qui s’est déroulé il y a près de 2 milliards d’années au Gabon permet de prouver expérimentalement la stabilité des constantes de réactions nucléaires et de la constante de couplage électromagnétique depuis ces temps reculés.

La datation par radioéléments

Les techniques de datation qui utilisent la décroissance radioactive de certains noyaux présents naturellement dans l’écorce terrestre font l’hypothèse que les lois physiques qui sous-tendent ces désintégrations n’ont pas changé depuis l’origine de la terre. Est-ce que les lois de la nature ont pu changer au cours de son histoire ou même plus tôt dans l’histoire de l’univers ? Cette question importante a fait par exemple l‘objet de très nombreux travaux en astrophysique à la recherche d’indices de la variation de la vitesse de la lumière depuis le Big Bang. Rien n’a jusqu’à maintenant permis de mettre en évidence de tels changements [1]

Est-il cependant possible que les temps de vie des noyaux radioactifs aient varié au cours de l’histoire de la terre, introduisant une erreur dans les âges estimés par les techniques de datation radiométriques ? Des éléments de réponse à cette question ont été trouvés de façon complètement providentielle au fond de la mine d‘uranium d’Oklo dans la région de Franceville au Gabon il y a 50 ans comme nous allons le voir plus bas.

La décroissance radioactive comment ça marche ?

L’uranium naturel est composé de trois principaux isotopes (uranium 234, uranium 235 et uranium 238). Tous trois ont le même nombre de protons et donc le même nombre atomique, mais un nombre différent de neutrons.Tous trois sont aussi radioactifs, c’est-à-dire instables. Ils se désintègrent spontanément en émettant différents types de rayonnement.  Parmi eux, le plus abondant et le plus stable est l’uranium 238 avec une demi-vie de 4,468 milliards d’années, soit proche de l’âge de la Terre.

Autrement dit, il reste aujourd’hui un tout petit peu moins de la moitié des noyaux d’uranium 238 présents au moment de la formation de la terre. L’uranium 235 a une demi-vie beaucoup plus courte, seulement 703,8 millions d’années et donc se désintègre à un rythme beaucoup plus rapide : en conséquence, il reste à peine 1% de l’uranium 235 présent au moment de la formation de la terre. Une autre conséquence est que la proportion d’uranium 235 dans le minerai naturel n’a cessé de décroître au cours de l’histoire de la terre. Quant à l’uranium 234, sa demi-vie n’est que de 245 000 années mais il est produit en permanence par la désintégration des noyaux d’uranium 238 dont il est le descendant.

Aujourd’hui, l’uranium naturel tel qu’il est extrait de son minerai partout sur la terre contient en masse 99,275 % de l’isotope 238, 0,719 % de l’isotope 235 et 0,0057 % de l’isotope 234. L’uranium 235 est le seul isotope fissile de l’uranium. Cela veut dire qu’il peut se fragmenter sous l’effet d’un neutron. Sous l’effet de la collision avec le neutron, son noyau se casse, c’est ce que l’on appelle la fission. Aujourd’hui, la fraction de 0,719% d’235U dans l’uranium naturel est insuffisante pour produire suffisamment de neutrons pour entretenir une réaction en chaîne. C’est la raison pour laquelle l’uranium qui sert de combustible dans les centrales nucléaires doit être enrichi en 235U pour que cette part atteigne entre 3 et 5%.

Les réacteurs nucléaires naturels de la mine d’uranium d’Oklo au Gabon : la preuve expérimentale de la stabilité des constantes fondamentales

Oklo
Credit & Copyright: NASA, Robert D. Loss, WAISRC

Restes de réacteurs nucléaires (naturels) vieux de près de 2 milliards d’années découverts à Oklo, au Gabon.

Les oxydes d’uranium sont encore visibles sous la forme d’une roche jaunâtre. Les sous-produits de la mine d’Oklo sont utilisés aujourd’hui pour sonder la stabilité des constantes fondamentales sur des échelles de temps cosmologiques et développer des moyens plus efficaces de recycler les déchets nucléaires créés par l’homme.

voir l’image du jour du 16 oct 2002 sur le site de la Nasa

Revenons maintenant en 1972 : un contrôle de routine révèle un fort déficit d’235U dans le minerai extrait de la mine d’uranium d’Oklo au Gabon. Toutes les pistes sont envisagées, même un vol à des fins terroristes pour la fabrication d’armes nucléaires. Mais c’est la découverte des produits de fission de l’235U dans les mêmes échantillons qui confirme l’extraordinaire découverte d’un réacteur naturel ayant fonctionné il y a près de 2 milliards d’années. Leur existence avait fait l’objet de conjectures et ils avaient fait l’objet de recherches actives, longtemps infructueuses. En effet, pour qu’un réacteur nucléaire naturel se mette en route, plusieurs conditions doivent être remplies.

1La première est d’avoir une proportion suffisante d’uranium 235 dans le minerai d’uranium. Il y a 2 milliards d’années, la teneur du minerai en uranium 235 était bien plus élevée (3,813 %)qu’aujourd’hui (0,7202 %), suffisamment élevée pour atteindre la criticité et engendrer une réaction en chaîne.

2La deuxième condition est la présence d’eau liquide, indispensable pour que les neutrons produits par la cassure des noyaux d’235U soient suffisamment ralentis pour à leur tour provoquer la fission d’autres noyaux et entretenir ainsi la réaction en chaîne.  Au fur et à mesure que la réaction s’intensifie, augmentant la température, l’eau s’évapore et s’échappe, ce qui ralentit la réaction (plus de neutrons rapides et moins de lents), empêchant un emballement du réacteur. Après la baisse de la température, l’eau afflue de nouveau et la réaction ré-augmente, et ainsi de suite.

3Il existe une troisième condition plus surprenante : la présence d’oxygène. Celle-ci est indispensable pour que l’uranium puisse se dissoudre dans l’eau et être transportée par celle-ci. Le transport de l’uranium dissout permet d’élever la concentration de l’uranium dans les lieux où il se dépose et ainsi d’atteindre des concentrations suffisantes pour déclencher la réaction en chaîne. C’est l’augmentation de la teneur en oxygène de l’atmosphère terrestre il y a environ deux milliards d’années, due à l’activité biochimique, qui explique que la réaction ait démarré à ce moment, et pas auparavant, bien que la fraction isotopique de l’235U ait été initialement encore plus élevée. Dans la mine d’Oklo, les concentrations naturelles en oxyde d’uranium dans les réacteurs atteignaient 40 à 60% d’où l’intérêt exceptionnel sur le plan minier.

Etudes des isotopes produits par la fission des réacteurs nucléaires naturels

Au total, ce sont 17 réacteurs naturels qui ont été découverts. Leur étude a permis une moisson de résultats scientifiques. Parmi celles-ci, une autre signature caractéristique d’un réacteur naturel est l’abondance très spécifique de certains isotopes de terres rares produits dans la chaîne de désintégration des noyaux d’235U sous l’effet des neutrons produits par la fission et ralentis par l’eau. Les terres rares désignent 17 métaux aux propriétés exceptionnelles qui sont utilisées dans la fabrication de produits de haute technologie.

La figure ci-dessous illustre la différence entre l’abondance relative des isotopes de l’une d’elles, le Néodyme (nombre atomique égal à 60), tels qu’on les trouve à l’état naturel ou après la fission de l’235U.

nodynium
Diagramme montrant les signatures isotopiques du néodyme naturel (bleu) et du néodyme produit par la fission de l’U-235 (rouge) – source Wikipedia.

La mesure des distributions isotopiques du Néodyme, du Samarium, de l’Europium et du Gadolinium a permis de confirmer les réactions en chaîne autoentretenues au coeur des réacteurs nucléaires naturels.

Etudes scientifiques liées à la datation radiométrique

Mais, dès 1976, soient seulement 4 années après leur découverte, le physicien russe Alexander Shlyakhter propose l’idée que l’analyse de ces distributions donne directement accès à la variation de la constante de structure fine alpha, qui rend compte de l’intensité de la force entre deux charges électriques [2]. Son travail sera repris environ 20 ans plus tard par Thibaut Damour et Freeman Dyson sur la base de travaux théoriques portant notamment sur le Samarium 149 (62 protons et 87 neutrons) et de 20 années d’analyse des réacteurs nucléaires naturels [3].

L’idée est la suivante : la probabilité pour qu’un neutron de fission de l’235U ralenti par l’eau soit absorbé par un noyau de Samarium est très élevée et elle dépend très fortement de la constante de structure fine alpha. A partir des mesures faites sur les 16 sites, les 2 physiciens montrent que la valeur de alpha n’a pas varié de plus d’un dix millionièmes depuis le fonctionnement des réacteurs naturels. C’est encore aujourd’hui la mesure la plus précise de la stabilité de cette constante fondamentale du modèle standard de la physique des particules.

Conclusion

Aujourd’hui, sur les 17 réacteurs découverts au Gabon, 16 ont disparu car leur uranium a été extrait à des fins industrielles. Ils ont fonctionné de manière stable pendant 100 000 à 500 000 ans sur une période d’environ un million d’années au Gabon. Ces réacteurs ont consommé environ six tonnes de 235U et ont fonctionné à une puissance de l’ordre de 100kW. A titre de comparaison, la puissance typique d’un réacteur de centrale nucléaire est de l’ordre de 1000MW, soit 10000 fois plus. Un seul a été conservé pour des objectifs scientifiques. Mais leur découverte et leur étude a permis de prouver expérimentalement que les constantes de réactions nucléaires et la constante de structure fine n’ont pas changé depuis au moins 2 milliards d’années sur la terre, apportant la confirmation de la validité des techniques de datations radiométriques.


Notes

[1] LA VITESSE DE LA LUMIÈRE A-T-ELLE CHANGÉ DANS LE PASSÉ ?

[2] Alexander Shlyakhter, Direct test of the constancy of fundamental nuclear constants. Nature 264, 340 (1976). https://doi.org/10.1038/264340a0

[3] Thibault Damour, Freeman Dyson, The Oklo bound on the time variation of the fine-structure constant revisited, Nuclear Physics B, Volume 480, Issues 1–2, 1996, Pages 37-54, https://doi.org/10.1016/S0550-3213(96)00467-1.