Article 35 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


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Dans le dernier billet de cette série, nous avons examiné des espèces que l’on connaît par des données fossiles proches de la dernière population ancestrale que nous partageons avec nos parents les plus proches (les chimpanzés). Comme nous l’avons vu, certaines espèces plus proches de nous que les chimpanzés s’appellent les hominiens. Comme nous le verrons, le lignage duquel émergent les humains est la seule branche qui demeure de ce qui a un jour été un groupe d’espèces proches diversifiées.

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Les hominiens (entourés en bleu) sont des espèces plus proches des humains que les chimpanzés. Les humains sont le seul lignage d’un groupe d’espèces hominiennes auparavant diversifiées qui ait survécu. Les hominiens font partie des hominidés, qui comprennent les grands singes, leur dernière population ancestrale commune, et toutes les espèces descendant de cette population.

La paléontologie de ce groupe n’est pas seulement intéressante par ses aspects scientifiques mais aussi par l’histoire qui l’entoure. L’intérêt intense qui a entouré nos proches espèces cousines dans l’évolution, les idées préconçues sur la façon dont et l’endroit où la transition de singe à humain a eu lieu, ainsi que l’orgueil et la tromperie humains ont tous joué un rôle significatif dans  la découverte et  l’interprétation des premiers fossiles hominiens.

A la recherche du « chaînon manquant »

Lorsque Darwin a publié De l’origine des espèces en 1859 puis La filiation de l’homme en 1871, la connaissance scientifique des données fossiles hominiennes était quasiment inexistante. Si les premiers os de l’homme de Néandertal ont été découverts  dans les années 1850,  il a fallu attendre des décennies pour une véritable compréhension de ce que ces découvertes (ainsi que celles subséquentes dans les années 1880) représentaient. A la suite des travaux de Darwin, on identifiait avec un grand intérêt les formes transitionnelles entre les grands singes encore en vie et les humains. Cependant, l’homme de Néanderthal avait une forme si proche de celle des humains modernes que les scientifiques ont été amenés à douter qu’il soit une espèce distincte. Ce que l’on attendait et cherchait étaient des formes hypothétiques que l’on voyait communément comme des « chaînons manquants » dans une progression de type scalaire du grand singe à l’humain. L’appréciation du groupe hominien comme un arbre touffu plutôt que comme une échelle a échappé aux scientifiques pendant un moment, pour ne rien dire du public en général.

C’est dans ce contexte qu’Eugène Dubois est parti en Indonésie vers la fin des années 1880, à la recherche de fossiles qui relieraient les humains et les singes. (Malgré la conclusion de Darwin à partir des indices et preuves disponibles selon laquelle les origines des humains se trouvaient en Afrique, le premier consensus, largement préconçu, soutenait que les humains trouvaient leur origine en Asie.) Dubois a été le premier scientifique à délibérément rechercher de tels fossiles, et par de grands efforts et des épreuves personnelles, il y parvint. Dubois a découvert en Indonésie les premiers fossiles de ce qu’on appellerait plus tard Homo erectus : un fossile qu’il a appelé de façon provocante Pithecanthropus erectus (« le singe-homme qui se tient debout »). Malheureusement pour Dubois, ses trouvailles étaient fragmentaires : quelques dents, le haut du crâne, un fémur, et elles ont été mal reçues par la communauté scientifique de son époque. Beaucoup croyaient, à cause de la petite taille du cerveau de son spécimen et des os de jambes qui ressemblaient aux humains que le « singe-homme » de Dubois n’était rien de plus que la découverte de restes humains mélangés par coïncidence avec ceux d’un singe appartenant à une espèce éteinte. Ce scepticisme était en partie alimenté par la supposition que l’évolution du cerveau avait séparé les humains des singes. Le « chaînon manquant » que l’on attendait devait donc avoir un corps qui ressemblait à celui du singe et un crâne d’une taille plus proche de celle du crâne humain. Il a fallu des décennies pour que l’interprétation de Pithecanthropus de Dubois –  une espèce effectivement avec un corps de type humain et un petit cerveau de type singe – soit acceptée.

L’interprétation de Dubois connut un nouveau contretemps en 1912, lorsqu’on fit la découverte d’un fossile correspondant à l’ensemble attendu des caractéristiques intermédiaires : l’infâme Homme de Piltdown. On a démasqué cette « trouvaille » plus tard : elle n’était qu’une contrefaçon construite à partir d’un crâne humain moderne écrasé et de la mâchoire d’un orang-outang avec toutes ses dents limées pour correspondre aux attentes de l’intermédiaire entre singe et humain de l’époque. Comme auparavant, certaines critiques ont fait jaillir des doutes, disant que le fossile était peut être un amalgame entre la mâchoire d’un singe appartenant à une espèce éteinte, et un crâne humain, mais ces critiques se turent quelques années plus tard, lorsqu’on « trouva » un second crâne correspondant au premier dans un site proche. S’il était possible que la chance place au même endroit et mélange les restes de deux créatures distinctes une fois, il était très improbable qu’elle le fasse deux fois ; Piltdown fut accepté.

Il a fallu énormément de travail pour détrôner Piltdown de son statut de « chaînon manquant » entre les humains et les singes, mais la suspicion a fini par grandir pour devenir une accusation de fraude. Ce travail consistait en la découverte de restes hominiens légitimes, des découvertes qui faisaient de plus en plus  de l’Homme de Piltdown une anomalie qui ne s’intégrait plus dans le plan de l’évolution hominienne.

Entre en scène l’Australopithèque

La découverte d’une seconde espèce hominienne qui combine les traits humains et un volume crânien inférieur au crâne humain a contribué à la mise en doute de Piltdown. En 1924, Raymond Dart [http://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Dart], un anatomiste, a examiné des fossiles venant de Taung en Afrique du Sud et a découvert un jeune hominien, avec un volume crânien trop grand pour un singe, mais plus petit que celui de l’Homo Erectus, ce qui l’empêchait d’être humain. Comme Dart le raconterait plus tard dans ses mémoires :

J’ai su au premier coup d’œil que ce que j’avais entre les mains n’était en aucun cas un cerveau anthropoïde ordinaire. J’avais sous les yeux, dans un sable consolidé par la chaux, la réplique d’un cerveau trois fois plus gros que celui d’un babouin et considérablement plus grand que celui d’un chimpanzé adulte. L’étonnante image des circonvolutions et des sillons du cerveau et des vaisseaux sanguins du crâne était pleinement visible.

Il n’était pas assez grand pour un homme primitif, mais même pour un grand singe, c’était un grand cerveau proéminent et, ce qu’il y a de plus important, le cerveau antérieur était si grand et s’était développé en arrière à tel point qu’il couvrait le cerveau postérieur.

Dart a publié son travail en 1925 dans le très influent journal Nature sous le titre « Australopithecus africanus : l’Homme-Singe de l’Afrique du Sud ». Comme Dubois avant lui, cependant, la découverte séminale de Dart a reçu un accueil froid, ainsi que l’opposition d’anthropologues importants convaincus non seulement que l’évolution humaine était une affaire de cerveau mais aussi que les origines humaines se trouvaient en Asie plutôt qu’en Afrique. Ces critiques notaient qu’à moins qu’un membre  adulte de cette espèce ne soit trouvé, le jeune que Dart avait décrit n’était probablement qu’un singe, et non une espèce intermédiaire entre les singes et les humains. Une fois encore, l’ombre de l’Homme de Piltdown, avec ses dents « correctes » de type singe et son crâne de type humain, était suspendue au-dessus de cette nouvelle découverte avec son mélange incongru de dents de type humain et d’un volume crânien plus petit que celui de l’humain. Comme Dubois avant lui, Dart devrait attendre d’autres découvertes pour que le vent de l’opinion scientifique tourne en sa faveur.

Dans le prochain billet de cette série, nous explorerons comment le travail de la paléontologie hominienne a donné une représentation plus claire de l’évolution hominienne et fini par découvrir en l’Homme de Piltdown une supercherie.

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