Article 41 sur un total de 48 pour la série :

L'évolution expliquée ♥♥♥


 

Dans ce billet nous revisitons ce qu’est une théorie en science, et discutons de ce que nous attendons de l’évolution en tant que théorie : des idées centrales bien établies, mais aussi la possibilité d’aller au-delà de ces idées pour tester des hypothèses plus spéculatives.

 

Le livre de Weizsäcker “Le Monde vu par la Physique » continue de beaucoup m’occuper. Il me ramène assez clairement à l’idée que c’est une erreur d’utiliser Dieu comme celui qui comble les trous de notre connaissance. Si en fait les frontières de la connaissance sont repoussées (ce qui semble inévitable), alors Dieu est repoussé avec elles, et est donc continuellement en situation de retrait. Nous devons trouver Dieu dans ce que nous connaissons, non dans ce que nous ignorons ; Dieu veut que nous prenions conscience de sa présence, non pas dans les problèmes qui ne sont pas résolus mais dans ceux qui le sont.

Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission (Lettres et notes de captivité)

 

Quand nous avons débuté cette série, nous avons commencé par définir ce qu’est une théorie en science: un large cadre explicatif supporté par des preuves expérimentales, permettant de faire des prédictions exactes, qui n’ont pas (encore) été contredites par l’expérimentation. Suite à cela, nous avons décrits les contours de cette théorie – en discutant de son origine avec les voyages de Darwin, de ses mécanismes, et en traçant l’histoire de la vie sur terre, y compris la nôtre. Nous avons vu comment la théorie de l’évolution a résisté aux avancées les plus récentes en paléontologie ou en génétique. Bien que les théories soient toujours provisoires, la théorie de l’évolution est si bien établie que ses contours de base (les espèces sont reliées les unes aux autres par des ancêtres communs, la sélection naturelle joue un rôle majeur dans la spéciation, etc..) n’ont pas plus de chance d’être renversées que d’autres théories scientifiques bien établies.

Ceci dit, toutes les théories ont des frontières, lorsqu’on quitte le terrain de la théorie pour s’approcher de celui de l’hypothèse. Il n’est pas évident de fixer une ligne sur un gradient, mais c’est néanmoins le propre de toute théorie de s’étendre sur des territoires moins connus. Au fur et à mesure que la théorie s’étend, ce qui était une frontière hypothétique devient une partie à part entière de ce qui est connu ; les hypothèses deviennent ainsi suffisamment précises pour être affinées par l’expérimentation. Dans cette série nous avons vu des exemples historiques de ce processus.

Par exemple, du temps de Darwin, l’idée que les humains étaient reliés à d’autres formes de vie par le biais d’un ancêtre commun était moins bien établi qu’aujourd’hui et était donc plus proche de l’hypothèse. Cette idée était pourtant prédite par les travaux de Darwin sur d’autres espèces, et supportés par différents faits (tels que l’anatomie ou la physiologie des humains comparées à celles des grands sages). Malgré ces faits, en 1859 la science sur l’évolution humaine avait encore du chemin à faire, prenant des décennies pour accumuler les faits qui assiéraient l’idée, non controversée parmi les scientifiques, que les humains constituent une lignée à l’intérieur des grands singes. Cette idée a donc quitté la frontière pour rejoindre le centre de la théorie, ce qui est une progression naturelle pour une hypothèse qui s’avère exacte.

Il n’est donc pas surprenant qu’une théorie scientifique investisse des territoires mal compris: en fait c’est ce qu’on attend d’une théorie scientifique qui en s’étendant va explorer ces frontières où la science n’est pas encore établie. Ainsi, on s’attend à ce que la théorie de l’évolution ait elle aussi ses territoires de recherches actives qui sont plus de l’ordre de l’hypothèse que celui de la théorie (dans le sens de théorie scientifique). En évolution, il y a beaucoup de domaines de recherche intense pour lesquels il n’y a pas une hypothèse qui surpasse les hypothèses alternatives, mais il ne peut y avoir de recension de la théorie de l’évolution sans les évoquer.

 

Frontières scientifiques et apologétique chrétienne

Le défi auquel nous sommes confrontés lorsque nous examinons ces frontières en évolution, c’est qu’un grand nombre de chrétiens ont été exposés à de tels sujets dans le cadre d’une apologétique anti-évolutionniste. Ainsi, il est courant de rencontrer des arguments structurés de la manière suivante : on discute d’une controverse scientifique dans ces  « zones frontières » pour ensuite décrédibiliser l’ensemble de la théorie de l’évolution. Cette approche, bien que malheureusement fréquente, est erronée à deux titres : elle ne reconnait pas que dans le champ scientifique, on s’attend à ce qu’il y ait des zones bien expliquées et validées et d’autres plus spéculatives ; d’autre part, dans ces zones spéculatives, l’existence de plusieurs hypothèses en compétition n’implique pas que la théorie dont elles sont issues soit suspecte.

Cette approche en apologétique chrétienne antiévolutionniste est particulièrement proéminente dans la première « zone frontière » de l’évolution que nous allons examiner: l’abiogenèse, ou la transition possible entre la matière non vivante et la vie sur terre. Stricto sensu, l’abiogenèse ne fait pas partie de la théorie de l’évolution qui ne concerne que la manière dont les formes de vie changent au cours du temps, non pas la manière dont la vie a pu apparaître à partir de la « non vie ». Néanmoins comme nous le verrons, il y a de bonnes raisons (et des faits) pour penser que cette distinction revient à définir une ligne sur ce qui ressemble à un gradient entre le « non vivant » et le « vivant ».

Malgré la prudence des scientifiques dans ce domaine, dans la littérature populaire chrétienne anti-évolutionniste, le mystère de l’abiogenèse est une raison suffisante pour douter de la théorie de l’évolution dans son ensemble. Comme nous l’avons vu, ce problème scientifique est attendu dans cette « zone frontière », et est en fait le résultat naturel d’une théorie scientifique productive. Mais cette approche pose aussi un problème apologétique: si une hypothèse de cette « zone frontière » est validée par l’expérience, alors elle va devenir partie prenante du corpus de la théorie. Et donc si l’argument apologétique repose sur l’idée que cette hypothèse est fausse, cet argument ne sera donc plus valable, au risque de déstabiliser l’apologétique qu’il était censé défendre ! Bonhoeffer a notoirement rejeté cette approche et nous ferions bien de suivre son exemple. Dans le prochain billet de cette série, nous examinerons pourquoi la théorie de l’évolution conduit à émettre l’hypothèse selon laquelle la vie a une origine singulière et chimique ancrée profondément dans l’histoire de la terre.

 

 


 

Notes

Pour aller plus loin

  • Venema, D.R. (2011). Intelligent Design, abiogenesis and learning from history: a reply to Meyer. Perspectives on Science and Christian Faith 63 (3), 183-192. [PDF]
  • Meyer, S. C. (2011). Of molecules and (straw) men: a response to Dennis Venema’s review of Signature in the Cell. Perspectives on Science and Christian Faith 63 (3), 171-182. [PDF]
  • Venema, D.R. (2010). Seeking a signature: essay book review of Signature in the Cell: DNA and the Evidence for Intelligent Design by Stephen C. Meyer. Perspectives on Science and Christian Faith 62 (4), 276-283.[PDF]

 

 

 

 

 


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