Article 4 sur un total de 4 pour la série :

Plaidoyer pour une conception chrétienne et réaliste de la guerre


crédit illustration : depositphotos

Après avoir montré les limites d’une doctrine pacifiste confrontée aux réalités de la vie quotidienne, abordons maintenant le volet exégétique.

2. Le pacifisme est irréaliste face à l’enseignement scripturaire

Que pouvons-nous tirer de l’Ecriture au sujet des conflits armés et de l’engagement militaire chrétien ? Est-il fidèle à l’Ecriture de croire que la « violence » amène toujours à plus de violence et que la guerre ne résout jamais rien ? L’enseignement scripturaire et l’expérience humaine qui en découle ne semblent pas approuver cette thèse.

  • L’ancien testament abonde de narration où les membres du peuple de Dieu ont participé à la guerre. Sans questionner les raisons de la guerre il nous faut simplement reconnaitre que la guerre en soit, n’est pas un mal. La justice et la vengeance que Dieu annonce par les prophètes de l’Ancien testament suggère que le châtiment Etatique n’est pas intrinsèquement immoral puisque Dieu lui-même en est parfois l’initiateur.
  • L’usage de la force est-il inefficace ? Les condamnations à mort de la Torah ont, entre autres, pour objectif de dissuader la pratique de l’idolâtrie. Les Proverbes 13.24, 19.18 ; 22.15 ; 23.13-14… montrent que la crainte de la punition permet de contrôler le comportement des individus. L’argumentaire pacifiste se révèle finalement peu réaliste en refusant catégoriquement tout usage de la force pour anéantir la violence. Dieu exige des chrétiens d’agir justement dans un monde injuste. Le pacifisme paraît ainsi achopper face à une des principales problématiques de l’éthique chrétienne : il n’existe pas toujours de normes idéales pour ordonner le désordre
  • Ne négligeons pas notre capacité de discernement. Il est tout à fait envisageable et souhaitable d’évaluer le caractère juste ou injuste d’un engagement militaire.  Les modèles vétérotestamentaires et néotestamentaires suggèrent qu’à de nombreuses reprises les croyants peuvent juger de manière adéquate les faits d’une affaire. Les politiciens peuvent également faire preuve d’un heureux discernement. Au sujet de la seconde guerre du golfe, à laquelle la France n’a pas participé, le général d’armée Pierre de Villiers soulignait que « sans la sage détermination du président Jacques Chirac » [1] la France aurait été entrainée dans un conflit qui n’a finalement pas apporté d’équilibre au monde.
  • L’enseignement très pratique du « sermon » sur la montagne est souvent au cœur du débat sur l’engagement militaire chrétien. Reconnaissons pourtant que « l’ennemi » du sermon sur la montagne est « l’ennemi » du chrétien, pas « l’ennemi » de l’Etat. Jésus décrit dans son « sermon » les vertus qui doivent guider la vie chrétienne, pas la vie de la cité/vie politique. De la même façon, le Christ meurt pour les ennemis de Dieu afin de les sauver, pas pour les ennemis de l’Etat. Christ n’avait certainement pas l’intention de fournir dans son « sermon » des recommandations sur la manière de mener une politique de défense nationale. L’argumentaire pacifiste paraît ici hors-sujet. L’apôtre Paul en revanche donne des recommandations sur la place des gouvernements civils en Romain chapitre 13. Il montre dans ce passage que le règne du Christ et le règne de ce monde ne sont pas en tout point de vue antithétique. « Le fait politique [n’est pas] un domaine pollué qui n’intéresse en rien les chrétiens » [2]. Le militaire chrétien ne se bat pas pour défendre sa foi, mais pour défendre son pays, la justice, la liberté etc.

Conclusion

Car la paix ne va pas de soi. Il faut la conquérir et une fois conquise, la préserver. L’idée que dans ce combat la force serait dépassée est évidemment erronée. Mais croire que la force seule pourrait relever ce défi immense est une dangereuse illusion [3].

Général d’Armée Pierre DE VILLIERS

Si le pacifisme est irréaliste sur de nombreux aspects il ne faut cependant pas l’écarter d’emblée. Premièrement car la pertinence d’une position ne se mesure pas uniquement à son réalisme et à sa faisabilité. Deuxièmement car le pacifisme peut agir comme un panneau indicateur puissant, une sorte d’avant-garde qui protège contre la folie guerrière qui peut s’emparer des Hommes :

L’Eglise ne doit pas prêcher le pacifisme, mais elle doit faire en sorte que, dans chaque cas, cette voix de la raison soit entendue [4].

Karl Barth

C’est ainsi que théoriciens de la guerre juste et pacifistes peuvent faire « un bout de chemin » ensemble. Le pacifisme a encore des difficultés à accepter le « mieux que rien » et le « pas si mal que ça ».

Pour être réaliste il serait judicieux que le pacifiste revienne sur son interdiction totale de la guerre comme moyen de justice et qu’il apprenne à déplorer l’échec, certes fréquent, des politiques extérieures sans pour autant contester leur nécessité et légitimité. Auquel cas, il poursuivra en vain des thèses absolutistes ou oniriques susceptibles de délivrer aux chrétiens une apparence trompeuse de la réalité. Or il est grand temps de réfléchir à ces sujets, « la guerre en Europe n’appartient plus [seulement] à nos livres d’histoires[5] », elle est à nos frontières.


Notes

[1] Général d’Armée Pierre DE VILLIERS. Servir. Fayard. 2017. P223

[2] Jean CALVIN. Institution de la religion chrétienne. Kerygma – Excelsis. 2015. Livre IV chapitre 20. P1401

[3] DE VILLIERS. Servir. P129

[4] Karl BARTH. Dogmatique ecclésiastique. Volume III/4. P28

[5] Extrait du discours officiel du président de la République Emmanuel Macron le 2 mars 2022

Bibliographie

Chrétienne :

  • Karl BARTH. Dogmatique ecclésiastique. Volume III/4. Labor et Fides. 1951
  • Charles-Éric DE SAINT GERMAIN. Ecrits philosophico-théologiques sur le christianisme. Excelsis. 2016
  • Neal BLOUGH. La foi chrétienne et les défis du monde contemporain. Excelsis. 2013

Séculière :

  • Collectif. La guerre en question. Presses universitaires de Lyon. 2015
  • Général d’Armée Pierre DE VILLIERS. Servir. Fayard. 2017

4 Articles pour la série :

Plaidoyer pour une conception chrétienne et réaliste de la guerre