Article 1 sur un total de 3 pour la série :

Plaidoyer pour une conception chrétienne et réaliste de la guerre


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Avant-propos (Science & Foi)

Les sciences sociales et l’éthique sont également d’un intérêt majeur quand on s’intéresse aux interactions possibles entre science et foi.

A ce titre et dans le contexte qui est le nôtre, nous sommes heureux d’accueillir sur ce blog, Jonathan Duquet (voir sa présentation en signature), pour ouvrir une discussion qui est loin de faire consensus dans les milieux chrétiens, celui de l’engagement militaire.

Jonathan nous propose donc de réfléchir à un Plaidoyer pour une conception chrétienne et réaliste de la guerre, c’est le titre de cette série qui compte quatre articles.

Comme invité sur ce blog, les propos de Jonathan Duquet n’engagent pas Science & Foi. Nous avons précisé « ce que nous croyons » dans cette rubrique.

Introduction

Les Européens du 21e siècle ont gouté au privilège d’éviter les guerres inter Etatiques qui ont marqué la première moitié du 20e siècle. La guerre en Ukraine nous rappelle aujourd’hui que la paix est fragile et que, comme le disait K. BARTH [1] en 1951, « la guerre doit être prise au sérieux ». A de nombreuses reprises dans l’Histoire de l’Eglise, l’engagement militaire chrétien a suscité des prises de position engagées et très divergentes.

L’objectif de cette série d’articles est de soumettre quelques pistes de réflexions afin d’évaluer le réalisme de la doctrine pacifique chrétienne. Nous commencerons par présenter une série d’arguments plaidant que le pacifisme est réaliste. Puis nous présenterons un certain nombre de propositions suggérant au contraire que la thèse pacifiste est irréaliste.

Le pacifisme chrétien doit être compris comme la position qui estime que rien ne justifie la contribution des chrétiens à un conflit armé et qui encourage à rejeter toute forme de guerre quelles qu’en soient les raisons ou les modalités d’actions. Autrement dit, il s’agit du « refus radical de toute participation à la violence » [2]. En pratique, ce refus de participation est assez hétérogène au sein même des chrétiens dit pacifistes. Pour certains d’entre eux, « au nom du respect de la fonction de l’état »[3], un chrétien peut tout de même être autorisé à soutenir l’effort de guerre via la collecte des impôts qui finance le conflit armé. Il lui est alors envisageable de s’engager dans l’armée dès lors qu’il ne prend pas les armes (cette possibilité n’existe pas aujourd’hui en France). Toutefois, pour d’autres pacifistes, le chrétien doit catégoriquement refuser toute participation directe ou indirecte aux activités belliqueuses.

I. Le pacifisme comme doctrine réaliste

I.1. La paix sans violence est possible

Pour les pacifistes, une paix durable est envisageable si les états et les individus travaillent activement à forger les conditions nécessaires à son obtention. Le « combat » civique de M-L. KING en est un exemple. Pour répondre à une injustice vis-à-vis de la population noire, le pasteur américain a su opposer une résistance non armée jusqu’à son terme. Si les mécanismes qui ont conduit aux changements sociétaux sont multiples et difficilement identifiables (émeut de la population, alliance politique…) il n’empêche qu’une « bataille » civique a véritablement été remportée sans usage de la violence de la part de la population noire. Notons aussi que l’Europe, jusqu’à récemment, semblait être le théâtre d’une paix durable.

Après plusieurs siècles de conflits le jeu des alliances occidentales avait permis d’imaginer que la guerre était largement évitable lorsque la volonté était présente. K. BARTH, sans être pacifiste, soutenait : « Il ne faut pas de foi du tout ni d’intelligence ni de courage pour hurler avec les loups que la guerre appartient malheureusement à l’ordre du monde »[4]. Elle n’est pas « un élément de l’organisation divine du monde ».

L. SCHWEITZER [5] exprime la même lassitude face à ce qu’il nomme la vieille « rengaine » du péché auquel le monde serait soumis et qui expliquerait la nécessité de la guerre. Notre « incapacité à écouter l’Esprit », pacifique et conciliateur, serait pour lui plus réelle que la nécessité de relations conflictuelles entre les êtres humains. Mieux vaut ne pas trop penser à « l’éventuelle situation limite » qu’amènerait l’échec de tous les moyens pacifiques. « A chaque jour suffit sa peine » termine-t-il. Ainsi, l’obtention d’une situation de paix est possible, réaliste, en s’appuyant sur la bonne volonté des chrétiens soutenus par le Saint Esprit. Ces derniers peuvent mobiliser les leviers politiques et diplomatiques pour se passer de l’action militaire.  

Le prochain article proposera d’analyser le point de vue pacifiste concernant la doctrine de la guerre juste.


Notes

[1] Karl BARTH. Dogmatique ecclésiastique. Volume III/4. Labor et Fides. 1951. Trad par J de Senarclens.

P5

[2] Louis SCHWEITZER. HOKMA N°30. Herméneutique et violence. Le Cerf. 1985. P24

[3] Ibid. P31

[4] Karl BARTH. Dogmatique ecclésiastique. Volume III/4. P26

[5] Louis SCHWEITZER. HOKMA N°30. P32-33


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