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Plaidoyer pour une conception chrétienne et réaliste de la guerre


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Présenté dans les billets précédents, le pacifisme est-il si réaliste qu’il n’y parait ? Quels arguments peut-on désormais invoquer pour suggérer que le pacifisme est une doctrine irréaliste ?

 II. Le pacifisme, doctrine irréaliste

II.1. Le pacifisme est incompatible avec les aspérités de la réalité quotidienne

Le pacifisme est une posture qui jouit d’un accueil généralement favorable. Mais celui-ci commente les évènements de l’époque avec un œil très partisan qui biaise l’interprétation des faits.

Présupposer l’existence d’intentions cachées derrière la doctrine de la guerre juste conduit in fine au risque de gel de toute entreprise humaine en lui prétextant un mobile intéressé. Poussée et extrapolée à d’autres domaines, cette logique aboutit à une paralysie sévère d’une bonne partie du système de justice sociale chrétienne.

Il faudrait alors renoncer au système de donation financière en justifiant que les chrétiens qui font des dons financiers le font aussi dans l’objectif de diminuer leurs impôts. Il faudrait décourager les maris à prendre soin de leurs épouses car il se pourraient que leurs délicatesses soient souillées par l’espoir dissimulé d’obtenir certaines faveurs. Il faudrait aussi alors dénoncer les motivations des pasteurs et évangélistes dans leurs expositions des Ecritures.

Le font-ils vraiment pour de saines raisons ? Ou bien est-ce pour leur propre gloire ? Si nous devions appliquer les mêmes exigences pacifistes aux procédures de désignations d’un ancien nous constaterions qu’il est impossible de discerner parfaitement si un individu répond complètement aux exigences morales attendues par Paul en Tite 1.6-9 et 1 Timothée 3.2-7. Mais est-ce alors une raison pour ne plus désigner d’anciens ? Et quand bien même l’on pourrait rétorquer que la désignation d’anciens est une prescription scripturaire, ce qui n’est pas le cas de la guerre, pourquoi avoir moins d’exigences pour une obligation scripturaire (celle de désigner des anciens) que pour des considérations séculières (faire la guerre) ? Ainsi, le pacifisme exige une pureté des engagements militaires qu’il se garde bien d’exiger pour les autres catégories d’engagements sociaux et ecclésiastiques.

Est-il vrai, comme l’affirme certains pacifistes, que la guerre n’est jamais d’une grande utilité ou d’une grande efficacité ? Nous affirmons que non. C’est bien l’engagement militaire des « Alliées » qui a stoppé la progression de l’Allemagne Nazie. Finalement en Europe, seul le développement de l’arme nucléaire ainsi que la création d’une coalition internationale de défense (l’OTAN) ont permis de fournir le terreau nécessaire à une paix inter-Etatique satisfaisante et durable jusqu’à ces dernières années. 

C’est plutôt la nature pécheresse humaine qui tend irrémédiablement à faire échouer la paix. Prenons comme exemple la guerre du Kosovo. Jürgen HABERMAS reconnait que les Etats ayant participé à ce conflit ont évité la récidive d’un « nouveau nettoyage ethnique » et ont

compris cette intervention [militaire] comme l’anticipation d’un droit cosmopolite effectif qui serait accordé par le conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies [1].

Il semble donc découler de l’enseignement biblique, et de l’expérience humaine, que l’usage encadrée de la force puisse permettre une résolution pérenne de certains conflits.

Le pacifisme se heurte à la complexité du réel par une compréhension parcellaire de ce qu’est la guerre.

La guerre n’est pas une entité immuable et monochrome.

le code génétique des conflits est en [perpétuelle] mutation [2]

La guerre est mouvante, elle se développe au gré de l’évolution des techniques, des cultures et des organisations étatiques. Prenons exemple sur le Vieux Continent. L’absence de guerre Etatique en Europe a entrainé la réémergence de conflits de « basse intensité », de belligérances transnationales, de criminalité et d’autres « éternelles passions » belliqueuses [3] qui suggèrent que les guerres d’hier (1914-1918, 1939-1945) n’ont rien à voir avec les guerres d’aujourd’hui. Cela conduit à penser qu’il n’est plus suffisant pour notre réflexion chrétienne de s’appuyer sur le rejet de la guerre par l’Eglise pré-Constantinienne pour justifier un pacifisme occidental du 21e siècle.

Le soldat chrétien de l’Antiquité ne faisait pas la même guerre que le soldat français de 2024. La stratégie militaire Napoléonienne de la France du 19e siècle ne répondait pas aux mêmes aspirations que celles d’aujourd’hui. La prudence est donc de mise lorsque l’on sollicite des écrits Antiques qui s’opposeraient à la participation des chrétiens aux guerres. Il faut comparer ce qui est comparable et militer pour que l’espace civique dans lequel évoluaient les premiers chrétiens soit davantage pris en compte.

  • C’est aussi sur le plan sémantique que le pacifisme n’est pas réel. En effet, celui-ci ne distingue pas la violence de la force. La force est l’application régulée, légitime d’un contrôle de l’autre. La violence au contraire est un déni du droit (sans lequel elle ne peut pourtant exister [4]) et elle est justement limitée par la force des Etats qui érigent les lois qu’elle transgresse. Le but de la guerre juste est de contenir la violence par la maitrise de la force armée. Cette confusion malheureuse de la violence avec la force nous place d’ailleurs dans une complexité embarrassante face à l’épisode de la purification du temple par Jésus (Mc 11. 15-17). Comment qualifier le comportement et les réprimandes de Jésus contre les marchands du temple ? Il nous parait raisonnable de penser que ce dernier a bien usé d’une force légitime venant du Père (Mc 11.28) sans pour autant tomber dans la violence.
  • Certains affirment que « toutes les guerres sont immorales ». Dans cette perspective pacifiste, le débat reste pris au piège de l’instant présent. L’analyse est empêchée et figée dans l’immédiateté de ce cliché un peu trop facile. Certes, toutes les guerres sont regrettables. La guerre n’est pas le moyen heureux de régulation des rapports de puissance entre les Etats. Mais c’est un moyen parfois nécessaire. A plusieurs reprises dans le passé, dès qu’un mouvement de pensée a voulu mettre la guerre hors-la-loi cela s’est soldé par des conflits majeurs : l’anéantissement de Carthage par Rome, la reprise des idées de Victor Hugo[5] contre la guerre à la fin du 19e siècle, le « plus jamais ça » à la fin de la 1ère guerre mondiale etc. Parfois quand tous les moyens pacifiques à la disposition sont épuisés il ne reste que la guerre comme moyen exutoire pour sortir d’une crise et ramener la paix. Il reste donc à orienter la réflexion vers un « processus de moralisation [de la guerre] dans lequel subsistera certes toujours une part d’injustice […] que l’on tentera d’endiguer […] à défaut de pouvoir s’en tenir à un pacifisme permanent trop idéaliste » [6].

C’est pour cela que le concept de guerre juste prend son sens. La doctrine de la guerre juste a pour but de limiter les entrées en guerre au strict nécessaire. Nous assumons qu’aucune guerre n’est parfaitement juste. Mais de façon similaire, aucun chrétien n’est parfaitement juste. Cela ne remet pourtant pas en question la nécessité de poursuivre notre sanctification selon ce que dit l’Ecriture au sujet du temps présent : « vous serez saint car je suis saint » (1 Pi 1.16).

Dans le prochain article nous essaierons de montrer qu’il ne l’est pas d’avantage sur le plan exégétique. 


Notes

[1] Jürgen HABERMAS. La guerre en question. Presses universitaires de Lyon. 2015. P71-72

[2] Pierre DE VILLIERS. Servir. Fayard. 2017. P51

[3] Julie SAADA. La guerre en question. P36

[4] Charles-Éric DE SAINT GERMAIN. Ecrits philosophico-théologiques sur le christianisme. Excelsis. 2016. P167

[5] Rappelons cette citation de Victor Hugo quelques années avant les guerres franco-prussiennes : « Les guerres ont toutes sortes de prétextes, mais n’ont jamais qu’une cause : l’armée. Otez l’armée, vous ôtez la guerre ».  

[6] Charles-Éric DE SAINT GERMAIN. Cours particuliers de philosophie, culture et politique. Ellipses. 2011. P904


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