Article 2 sur un total de 3 pour la série :
L’éthique religieuse dans un contexte d’ultramodernité
Maintenant que nous connaissons mieux les catégories qui composent les populations areligieuses, nous cherchons à savoir si un système de valeurs les caractérise et à le comparer avec celui des personnes religieuses.
Étude comparative sur les valeurs en fonction du sentiment d’appartenance religieuse, l’indice de religiosité
Bréchon propose de construire un indice de religiosité à partir de divers indicateurs de l’enquête qui lui a permis de mieux distinguer athées et indifférents et les nuances qui existent dans chaque catégorie[1]. Cet indice qui mesure le degré de religiosité des individus, Bréchon le croise avec une série de dimensions de valeurs qu’il applique ensuite au sentiment d’être athée, non-religieux ou religieux (qui correspond aux réponses directes dans les enquêtes).
Tableau comparatif des valeurs
Afin de pouvoir mieux comparer les résultats, nous avons compilé dans un seul tableau, les deux proposés à la base par le sociologue[2]. Nous n’avons pas retenu toutes les valeurs pour rester synthétique et concentré sur le domaine de l’éthique économique et sociale et nous en tenir au thème de notre problématique. La colonne centrale « ensemble » est la moyenne en pourcentage, de la population européenne.
Analyse globale sur les valeurs en fonction du sentiment d’appartenance religieuse
Les résultats en fonction du degré de religiosité correspondent pratiquement à ceux liés aux sentiments d’appartenance. Un degré très faible et faible de religiosité reflète les résultats des athées convaincus et des non-religieux, un degré assez fort et fort, les résultats des religieux.
On ne peut cependant pas en déduire que les populations d’une colonne de gauche correspondent à celles de droite, par exemple que les athées seraient l’ensemble de ceux à très faible indice de religiosité. Les frontières entre les catégories n’étant pas si étanches, le public se trouve mélangé.
Similitudes et écarts
Un travail à partir des quatre colonnes de gauche apporte plus de finesse dans les analyses. Par exemple pour l’engagent associatif (ligne 12) on ne perçoit pas de différence entre les trois populations athées, non-religieux et religieux, or il y a un écart assez significatif entre une population avec un degré très faible de religiosité et un très fort, mais surtout, l’indice très fort surpasse tous les autres. Ainsi il apparait que les personnes avec un très fort degré de religiosité sont plus promptes à l’engagement associatif que la moyenne (12 points de plus) bien que celles avec un fort indice se situent légèrement en dessous.
Sans aller trop loin dans les détails, relevons quelques points utiles à notre discussion.
Valeurs communes
On remarquera en suivant Bréchon, qu’un certain nombre de lignes apparaissent assez homogènes (peu d’écart avec la moyenne centrale), ce qui signifie que ces valeurs ne sont pas appréciées différemment, elles sont communes quel que soit le sentiment d’appartenance, athées, non-religieux, religieux. Ainsi on pourra peut-être s’étonner que l’indicateur 3. sur le sentiment de bonheur ne soit pas lié à la position religieuse des individus qui pourraient trouver du réconfort dans leur métaphysique. De même la xénophobie (ligne 7) et l’adhésion aux principes démocratiques (ligne 8) tout comme la confiance à autrui (ligne 11) semblent être des valeurs qui ne souffrent pas de la différence entre catégories d’appartenance.
Les valeurs des Athées convaincus
Que pouvons-nous déduire de ce tableau du système de valeurs des « athées convaincus » ?
Bréchon a mis en évidence leur plus grande permissivité civique (ligne 4), il peut s’agir d’être plus tolérants aux incivilités comme le refus de payer une amende. Ils sont d’ailleurs moins partisans d’une morale de principe (ligne 1) et soutiennent moins la valeur du travail (ligne 2). Les athées convaincus ne sont pas très nationalistes (ligne 5), mais plus fortement politisés que la moyenne européenne (ligne 9) et plutôt de gauche (ligne 10). Ils se démarquent également par un individualisme plus marqué – la règle du chacun pour soi (ligne 14) – qui se traduit par une solidarité moins marquée que chez un public plus religieux (ligne 13).
À ce propos, un zoom sur les classes d’âge révèle que c’est chez les jeunes athées (18-29 ans) que la différence s’opère (35% contre 46% pour les religieux). Enfin et c’est certainement le facteur le plus déterminant, on notera la très grande place laissée aux valeurs d’individualisation (ligne 15) favorisant ainsi l’autonomie des individus, c’est sur cette valeur que l’écart entre athées et religieux est le plus significatif (47 points d’écart).
Les valeurs chez les indifférents (les non-religieux)
Les indifférents (non-religieux) ne subissent pas des variations aussi remarquables, du fait d’une radicalité moindre que les athées dans leur système de valeurs. On peut cependant remarquer que leurs résultats les rapprochent davantage des athées que des religieux tout en ne s’éloignant pas trop de la moyenne.
Ayant pris connaissance de ces données, nous terminerons notre étude dans une troisième partie par une discussion permettant de savoir la place que peut occuper une éthique religieuse judéo-chrétienne dans l’espace social en tenant compte du nombre croissant des « sans religion » dans nos sociétés européennes.
Notes
[1] P. Bréchon, « Sociologie de l’athéisme », op. cit., p. 59. Voir Note 59. Bréchon bâtit son indice à partir de 10 indicateurs marqueurs de la religiosité à la fois pratiques comme fréquenter les offices religieux, etc.. Ou subjectifs comme croire en Dieu, à une vie après la mort, etc..
[2] Ibid., p. 63-65.
3 Articles pour la série :
L’éthique religieuse dans un contexte d’ultramodernité
- 1. Qu’est-ce qui caractérise les « sans religion » dans l’ultramodernité ?
- 2. Éthique et athéisme, le système de valeurs des populations areligieuses
- 3. Discussion : l’éthique religieuse face à la montée de l’irréligiosité