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Le 17 octobre 2022 s’est tenu le colloque « Dieu au risque de la science » au collège des Bernardins

L’idée était de pouvoir aborder la question suivante à travers différentes conférences : La science apporte-telle des éléments sur la question de Dieu ?

Petit bilan de la journée

Chaque intervention de 30 mn était suivie de 10 mn de questions de la part de la salle ou des personnes connectés en ZOOM. La qualité et la pertinence des questions a démontré l’intérêt et le niveau d’expertise du public pour le sujet.

Voici ce que je retiens de cette journée, je me permets parfois de donner mon avis personnel. Vous pourrez vous reporter aux vidéos en ligne (quand elles seront disponibles pour approfondir un sujet ou l’autre).

D’un point de vue général, j’ai trouvé la diversité des exposés fort intéressante, le format colloque plutôt que débat permet à chacun des auditeurs d’examiner les arguments avancés sans passion et de creuser ensuite les pistes de son choix.

Conférence 1 : L’EXISTENCE DE DIEU PEUT PLUS QUE JAMAIS ÊTRE CONNUE AVEC CERTITUDE PAR LA LUMIÈRE NATURELLE DE LA RAISON HUMAINE

Olivier Bonnassie est l’un des co-auteurs du best seller Dieu- la science – les preuves. Le titre de sa conférence rappelle la thèse du livre. Il s’agit certainement de la position la plus « radicale » présentée lors de ce colloque. Pour O. Bonnassie la science est habilitée à un discours sur Dieu et apporte même désormais les preuves de l’existence de Dieu et cela dans trois registres en particulier : l’origine de l’univers, le réglage fin de l’univers et l’origine de la vie. Le succès du livre nous révèle sans conteste l’intérêt du public pour le sujet et l’ouvrage montre un certain nombre de questions auxquelles se confronte la science d’aujourd’hui.

la deuxième partie de l’exposé consistait à réfuter les principales critiques émises à l’encontre de l’ouvrage, mais (à mon sens) le temps était trop court pour élaborer une argumentation bien étayée.  Certaines remarques classées dans le « bêtisier » pourraient certainement faire l’objet de conférences à part entière. En effet, si elles sont jugées « absurdes » ou « hors sujet », elles témoignent plutôt, selon moi, de la complexité du sujet et des maintes manières de le traiter. Par exemple, il pourrait s’avérer bon de s’interroger sur le fait de savoir pourquoi certains estiment que le livre essaie de « prouver la foi ».  Et plutôt que de rejeter brutalement la séparation du comment en science et du pourquoi en religion, ne faudrait-il pas s’intéresser à la manière de travailler ces questions ? (à quoi nous renvoie chaque type de question, sur quels plans ont-ils été traités, par qui ?…)

Conférence 2 : RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET RECHERCHE DE DIEU : UN MÊME DESIR DE VOIR

Philippe Quentin se fait la voix d’un scientifique croyant et sa position est plus nuancée. Dans son exposé, P. Quentin comme physicien insiste sur le caractère vraisemblable, mais provisoire du discours scientifique.  Le réglage fin de l’univers ne constitue pas une preuve de l’existence de Dieu, mais plutôt une source d’émerveillement. Il nous propose ensuite une lecture « personnelle » des cinq voies de Thomas d’Aquin pour en conclure que Dieu s’éprouve davantage qu’il ne se prouve et qu’il se trouve au cœur de nos connaissances même imparfaites.  P. Quentin peut alors conclure que c’est dans le désir de voir que nait le lieu de la rencontre.

Conférence 3 : QUE CONNAIT-ON DE L’ARBRE DE VIE ENRACINÉ DANS LA MATIÈRE

Il s’agit certainement de la conférence la plus technique du panel tout en restant accessible au grand public. Luc Jaeger est chercheur en biochimie et astrobiologie, il a présenté un état des lieux sur l’origine de la vie dans la matière. La chose à retenir et que L. Jaeger met en évidence dans ses recherches, c’est que pour se développer, la vie n’utilise pas que des process du bas vers le haut (bottom-top), mais également des process du haut vers le bas (top-Bottom). Cela interroge grandement les chercheurs sur la manière dont ces lois qui régissent le vivant ont pu se mettre en place. En effet, ces processus donnent un sens à l’évolution du vivant ce qui n’est pas conforme à la vision darwinienne telle qu’on la conçoit habituellement.

Conférence 4 : LES RAISONS QUI NOUS FONT CONCLURE À DIEU

Philippe Gagnon est docteur en théologie et en philosophie des sciences. P. Gagnon pose d’emblée deux problèmes qui auront de quoi stimuler la réflexion tant en milieu croyant que non croyant.  (1) Il serait incongru de chercher à prouver la foi chrétienne par des preuves extérieures à elle-même, en effet « elle est à elle-même sa propre preuve ». (2) Le mythe d’une science sans présupposé, totalement neutre où tout y serait public, sans influence personnelle. Or la science fonctionne avec une croyance à des postulats, à des expériences que l’on a pas réalisées soi-même…
La discussion va creuser ces deux sillons jusqu’à questionner la notion de théologie naturelle. Les citations choisies viseront à montrer la complexité et la subtilité du sujet ainsi que les enjeux pour la théologie chrétienne d’aujourd’hui. L’exposé se termine sur une petite étude sur la question du miracle.

Conférence 5 : LA CROYANCE DANS UNE PERSPECTIVE BIBLIQUE ET SCIENTIFIQUE

Voilà, c’est mon tour ! Pour cette conférence, j’ai choisi un court extrait de mon mémoire de master en théologie. Thomas Torrance, un théologien écossais disciple de Barth reprend les travaux en épistémologie de Michael Polanyi qui lui-même s’est beaucoup inspiré d’Einstein. Dans cet exposé je montre d’abord comment Torrance dépeint la foi chrétienne à partir de la Bible. Pour le théologien, si la foi biblique ne s’appuie pas sur la vue, elle est néanmoins l’assurance d’une véritable connaissance car elle repose sur le fondement même de toute rationalité (Dieu lui-même auteur de la rationalité de la raison humaine et des structures rationnelles de l’univers). La foi ne s’oppose donc pas à la raison.

La deuxième partie traite de la connaissance et de la croyance en science. Une conception populaire poursuit celle de John Locke : croyance d’un côté et connaissance de l’autre. Or une pratique de la science moderne montre que que cette séparation entre croyance et connaissance est artificielle. Polanyi  rappelle que pour Einstein, la croyance ou l’appréhension intuitive est source de connaissance et c’est dans la croyance que nous sommes en prise directe avec la réalité […] que nous confions nos esprits à la nature ordonnée et fiable de l’univers.

Enfin, la dernière partie s’intéresse à la connaissance de Dieu. Torrance montre à partir des travaux de Polanyi qu’il n’existe pas de différence fondamentale entre connaissance théologique et scientifique (il explore les similitudes méthodologiques des 2 domaines par une mise en dialogue), car les deux reposent sur un même fondement, celui du rapport de la foi à la réalité. Les deux possèdent également des croyances ultimes non démontrables. Ce qui différencie les deux types de connaissance c’est le type d’intelligibilité qui dépend de la nature de l’objet que l’on cherche à connaître. Mais on ne peut extraire la connaissance de son cadre fiduciaire (Polanyi).

Conférence 6 : COMMENT ARTICULER ACTION DE DIEU, ACTION DE LA NATURE ET ACTION DE L’HOMME ?

Thierry Magnin est  docteur en Physique et en Théologie. Il propose une rencontre entre le scientifique et le théologien suscitée par la reconnaissance d’une incomplétude  dans chacun de leur domaine. Il note par exemple l’incomplétude de la logique (Gödel), celle de la structure de la matière (Heisenberg) ou celle de l’évolution irréversible (Prigogine). Dans une telle démarche, T. Magnin ne se situe pas dans le registre des preuves de l’existence de Dieu. Il propose davantage un dialogue entre science et foi (ou foi et raison) en réfléchissant à la place de l’homme dans l’évolution à partir de la pensée de Teilhard de Chardin ou d’autres penseurs. Il est ainsi possible de dégager à partir de la science du vivant « d’étonnantes résonances avec l’anthropologie chrétienne tripartite » (corps-âme-esprit).

Conférence 7 : VOIR DIEU À L’OEIL NU ?

Pascal Ide est titulaire de  trois doctorats : en Médecine, en Philosophie et en Théologie. La thèse de sa présentation est celle qui rejoint le plus celle du premier conférencier dans le sens où elle s’attache à montrer la possibilité pour la raison de prouver l’existence de Dieu.  La démarche se détache cependant notoirement du premier exposé dans le sens ou P. Ide reconnaît qu’il n’existe pas de preuve scientifique de l’existence de Dieu. Pour P. Ide, il convient de distinguer dans les questions que pose la science ce qui est du ressort de la philosophie et de la théologie.  La démarche est plus conforme à celle de la tradition de l’Eglise catholique et articule les différents discours philosophique, théologique et scientifique en plaidant la cause d’une théologie naturelle permettant à la raison humaine de « voir Dieu ».

TABLE RONDE

Entretien (et interaction) avec le public modéré par François Mudry.

J’ai pour ma part présenté l’association Science & Foi, son intérêt pour les discussions publiques en faveur du dialogue entre la science et la foi chrétienne et aussi sa vocation à entretenir ce dialogue au sein des Églises et à encourager les jeunes à entreprendre une carrière scientifique en harmonie avec leur foi personnelle. Notre site internet, séminaires et nos publications sont autant d’outils pour répondre à ces objectifs.

Brunor est un auteur de bandes dessinées, dont la série Les Indices Pensables  propose de découvrir des thématiques scientifiques qui suscitent des questionnements en lien avec la foi. Il organise régulièrement des sessions de discussion autour de ses ouvrages notamment avec la jeunesse.

Jean Staune a tenu à défendre la publication du livre Dieu – la science – les preuves, et a exprimé son incompréhension envers les chrétiens qui critiquent la parution de l’ouvrage. Il a tenu à souligner que l’objectif de ce livre comme ses travaux ne se situent pas dans la sphère de la théologie chrétienne, mais plutôt dans celle des sciences des religions. Le but serait donc de faire la critique du matérialisme à partir des données scientifiques en notre possession, mais pas de faire l’apologie du christianisme. Concernant le christianisme plus spécifiquement, Jean Staune annonce la sortie imminente de son ouvrage Jésus, l’enquête.

Conclusion

Par rapport à notre question initiale, sur les sept conférences, seule la première affirme que les éléments apportées par la science sur la question de Dieu sont de l’ordre de la preuve.

Aucun des exposés ne s’est trouvé dans un modèle totalement séparatiste entre les domaines de la science et de la foi, tous y trouvent au moins une articulation possible avec des chemins parfois différents (convergence dans le premier cas).

La théologie naturelle est la capacité de connaître Dieu par ses propres moyens et notamment ceux donnés par la raison. Ce sujet retrouve toute sa vigueur avec un colloque comme celui-ci, je me contenterai de conclure avec les deux positions les plus éloignées rencontrées lors de cette journée, ce qui ne veut pas dire que des points de vue communs n’existent pas sur d’autres sujets dans les présentations. Les exposés 1 & 7 assument la position d’une théologie naturelle dite traditionnelle où la raison possède la capacité de prouver l’existence de Dieu (Il existe cependant une nuance importante entre ces deux présentations qui se situe au niveau de la nature des preuves, scientifiques ou non.) D’un autre côté se trouve l’approche de l’exposé 5 que j’ai pu présenter. Pour Torrance, c’est la révélation qui soumet à la raison la connaissance de Dieu, cela ne dépend pas de l’homme, mais de Dieu, la théologie naturelle est incorporée à la théologie révélée. Tout comme en science, c’est la nature de l’objet d’étude qui nous impose de le connaître tel qu’il est.

En repérant dans chaque conférence comment ce thème a été abordé directement ou indirectement, on peut en déduire les différentes nuances sur la manière d’articuler foi et raison. On notera que ce sujet inspire encore beaucoup de nos contemporains. En se référant aux divers auteurs en théologie, philosophie ou philosophie des sciences cités, chacun pourra poursuivre la réflexion.

La plupart des intervenants ont d’ailleurs aussi une bibliographie présente sur la page de l’événement.

Vous y retrouverez également le programme détaillé et les enregistrements vidéos des conférences, également ici sur notre site.

Un grand merci encore à François Mudry pour l’organisation de ce colloque !