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Quelques réflexions à propos de la synthèse "Adam, qui es-tu?" aux éditions Excelsis


Poursuivons le partage de quelques réflexions personnelles concernant la contribution de Matthieu Richelle à l’ouvrage collectif « Adam, qui es-tu ? » publié chez Excelsis.

Après avoir dit quelques mots de la méthodologie choisie par MR, abordons un paragraphe qui m’a particulièrement attiré :

« Les hommes du Proche Orient Ancien croyaient-ils à leurs mythes ? »

Voilà une problématique passionnante dans la mesure où elle pourrait nous aider à y voir plus clair à propos des intentions historiques et/ou scientifiques du texte biblique, l’ « équivalent » pour les anciens hébreux des textes mythiques du Proche Orient Ancien parlant des origines du monde.

Pour MR, la conclusion est assez claire :

« le fait que l’auteur biblique ait repris des motifs de son texte de la mythologie proche-orientale, tout en les modifiant à volonté et en les réunissant dans une logique inédite, suggère qu’il se sentait très libre à leur égard et ne les prenait pas nécessairement au pied de la lettre. Cela concerne au premier chef la description de la création de l’homme… »[1]

Ainsi, la description de la création de l’homme et de la femme revêt une dimension hautement figurative dans l’intention de l’auteur et la compréhension des premiers auditeurs, ce qui nous autorise nous aussi à ne pas y discerner l’intention d’une révélation divine à propos du « comment » de la création.

 

Cette analyse m’interpelle sur plusieurs points.

Pour faire une telle analyse, il faut être en possession de textes antiques du Proche Orient, ce qui n’est possible que depuis le XIXème siècle, comme je l’ai déjà mentionné dans mon article précédent. Pour être tout à fait complet, MR discerne dans le texte biblique lui-même, indépendamment de toute référence extérieure « les indices d’une prise de distance avec une acceptation littérale. ». Il n’empêche que pour conforter son propos, il fait abondamment référence aux textes païens du POA, et aux intentions supposées de leurs auteurs.

N’est-ce pas en effet depuis que l’on a découvert ces textes qu’il est devenu bien plus aisé d’identifier les éléments symboliques du texte biblique (la poussière, l’argile, le serpent, l’arbre de vie, le fleuve, le jardin, les chérubins…) dont certains ont été interprétés littéralement et continuent de l’être par beaucoup de chrétiens qui ignorent ces textes ?

MR est clairement en désaccord avec l’analyse faite par le théologien canadien Denis Lamoureux dans Evolutionary Creation. Pour MR :

« Ce dernier attribue à l’auteur du récit d’Eden une compréhension littérale des éléments dont nous venons de voir qu’ils sont à l’évidence conçus par lui comme figuratifs…Denis Lamoureux estime simplement que l’auteur biblique a eu recours à la « « science » de son époque et qu’il croyait sincèrement que l’homme avait été formé de la poussière ! »

Pour étayer sa démonstration, MR s’appuie sur le fait que selon certains spécialistes comme Jean Bottéro, les auteurs antiques « n’hésitaient pas à réécrire de nouvelles versions en contredisant allègrement les précédentes, apparemment sans en éprouver d’embarras. » [2]Ce qui montre qu’ils n’y croyaient pas eux-mêmes.

L’argument ne manque pas de force. Ainsi, les mythes antiques ne prétendaient nullement expliquer « physiquement » les origines de l’humanité.

Je ne sais quoi penser d’une telle affirmation.

D’autres auteurs expliquent que de tout temps, les hommes ont eu besoin d’expliquer l’origine et la structure du monde qui les entoure, ceci d’un point de vue du sens, mais aussi de la matérialité. Le fait que les mythes successifs se contredisent est-il un argument suffisant ? N’est-ce pas juger avec des critères modernes la rationalité et la cohérence de la pensée d’hommes vivant à une époque où l’écriture était presque inexistante et l’esprit critique bien moins développé ?

Denis Lamoureux fait un rapprochement qui donne lui aussi à réfléchir : l’auteur biblique fait référence au firmament, et donc à une conception ancienne du cosmos. Il est donc fort probable que Genèse 1 nous parle d’animaux créés « selon leur espèce » parce qu’à l’époque de rédaction, l’auteur biblique ne pouvait deviner qu’avec des centaines de millions d’années, un être aquatique serait transformé en homme ! Il était donc logique pour lui qu’il y ait eu un jour un premier homme, créé directement par la divinité en laquelle il croyait ! Par une rétroprojection, il y avait donc eu un premier chien et un premier chat ! La divinité avait créé chaque animaux « selon leur espèce » parce que dans l’expérience courante, les chiens ne font pas des chats.

Sur ce point, il est possible que Denis Lamoureux aille trop loin, et interprète littéralement des éléments symboliques mais il se pourrait aussi que les préjugés théologiques de MR qui refuse toute forme de « science ancienne » dans la Bible orientent son exégèse vers le figuratif…

Dans le deuxième chapitre, MR s’intéresse au genre littéraire de Genèse 2-3 :

« Faut-il y voir une pure narration fictive ? Une sorte de parabole ? Au fond, l’auteur de ce texte prétendait-il décrire des événements historiques, vécus par des personnages réels ? Si la réponse est négative, cela a des implications évidentes pour les débats actuels. Si elle se révèle positive, cela conduit immédiatement à d’autres interrogations : le texte comporte-t-il des données situant Adam dans le temps ? Présente-t-il, comme on le pense généralement, Adam et Eve comme les parents de toute l’humanité ?»[3] (ma mise en gras)

Questions passionnantes à nouveau ! MR désire se cantonner à l’exégèse, c’est-à-dire uniquement ce que dit le texte, sans aller jusqu’à l’étape de l’interprétation. Il suggère pourtant que les conséquences de cette exégèse seront « évidentes ». C’est-à-dire que ce qu’aura dit l’auteur en la matière sous l’inspiration de l’Esprit fera autorité. Car, comme il le dit plus loin :

« il est quelque peu paradoxal que les argumentations en faveur de l’historicité d’Adam convoquent souvent en priorité des passages bibliques extérieurs à la Genèse, même si le témoignage des auteurs bibliques est bien entendu, pour un évangélique décisif. » [4](ma mise en gras)

J’espère ne pas déformer la pensée de MR, mais il semble donc qu’une fois qu’on a déterminé ce que l’auteur a voulu dire, on sait ce qu’on doit penser de la situation, y compris au niveau de l’histoire !

C’est dans cet état d’esprit que MR démontre donc que l’auteur de la Genèse « présente Adam et Eve comme des personnages ayant réellement existé et vivant une chute vraiment survenue. La présence simultanée d’éléments imagés et d’un fond historique s’explique par le recours au genre littéraire, bien attesté dans le reste de la Bible, des paraboles historiques : une charpente historique pourvue d’un revêtement figuratif. »[5]

La démonstration ne manque pas d’intérêt, mais au fond, la vraie question est celle de l’interprétation.

En de nombreux points, MR rejoint l’analyse historique d’Henri Blocher. La réponse apportée à toutes ces questions par Georges Daras sur ce blog m’a fait voir les choses sous un autre angle :

«  La critique de Blocher contre la lecture non historicisante est ferme: “à péché historique, rédemption historique. […] Les deux fois il a dû s’agir d’un acte réel, sinon le second Adam n’aurait pas pu réparer l’oeuvre du premier.” (Révélation, p. 166) À mon avis, l’erreur de Blocher est de ne concevoir l’historicité que dans le sens étroit d’historicité du récit de la Genèse. Le récit n’aurait de sens qu’en rapport au fait réel qu’il rapporte. Là aussi, c’est réduire la notion de réalité à celle de réalité du récit de la Genèse. Or, j’ai montré que le péché et la faute peuvent être historiques et réels, non en raison d’une soi-disant correspondance entre le récit et des faits, mais en référence à l’expérience de “l’auteur”, de la communauté de foi, qui exprime cette expérience sous la forme de récit narratif, récit qui raconte une histoire mais qui n’est pas de l’histoire (on pourrait parler avec Robert Alter de “fiction historicisée”). Il s’ensuit que, si l’historicité et la réalité du péché et de la faute sont maintenues — bien qu’autrement que ne le fait Blocher, on l’a vu— alors le lien avec la rédemption en Jésus-Christ peut être fait sans problème. Et je peux même souscrire à l’affirmation de Blocher: “à péché historique, rédemption historique”!

Car la réponse apportée par Matthieu Richelle à la question sensible du péché originel ne m’a pas vraiment convaincue.

« Si l’on admet, avec la tradition, et comme Henri Blocher, que certains versets impliquent que l’inclination au mal se transmet d’une certaine manière lors de la conception, cela signifie que « si un humain naît d’un couple pêcheur, alors il devient lui-même pêcheur. » Ainsi, tous les descendants d’Adam sont pêcheurs. Mais (sauf oubli) la réciproque ne paraît pas exprimée dans la Bible. Cela signifierait que « si un humain est pêcheur, alors c’est nécessairement qu’il est né d’un couple humain pêcheur. » Si cette remarque est juste, alors cela veut dire qu’aux origines, des humains éventuellement créés par Dieu sans dériver d’Adam et Eve ont pu néanmoins être pêcheurs. Adam a tout à fait pu être leur « chef fédéral » de sorte que c’est en lui qu’ils ont été condamnés pour leurs propres fautes. »[6]

 

Donc le péché est entré dans le monde par plusieurs hommes et femmes, contemporains ou même vivant avant Adam ? Toutes ces contorsions intellectuelles dérivant de la sauvegarde du concordisme historique me paraissent bien acrobatiques.

J’aime autant la vision de Paul Ricoeur décrite pour être finalement rejetée par MR :

« le récit « condense dans un archétype de l’homme tout ce qui est éprouvé de façon fugitive et confessée de façon allusive par le croyant…[Cette histoire] exprime, par le moyen d’une création plastique, le fond inexprimé- et inexprimable en langage direct et clair- de l’expérience humaine. »

[1] Matthieu Richelle, Adam, qui es-tu?, p.23-24

[2] Jean Bottéro, Babylone et la Bible, p. 143-145,  cité par Matthieu Richelle, Adam, qui es-tu?, p.23

[3] Matthieu Richelle, Adam, qui es-tu?, p.37

[4] Ibid, p.46

[5] Ibid,  p.63

[6] Ibid,  p. 62

[7] Paul Ricoeur, Le conflit des interprétations, Essais d’herméneutique, p. 279,  cité par Matthieu Richelle, Adam, qui es-tu?, p.40

 


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