Ceci est la 5e conférence du colloque « Dieu au risque de la science » donnée au Collège des Bernadins le 17 oct. 2022

Résumé

Cette conférence tente de répondre aux questions suivantes : la foi s’oppose-t-elle à la raison ? Est-il légitime de chercher des preuves de l’existence de Dieu dans la science ?

Il s’agira de dégager le cadre commun d’une définition pour la croyance sur la base des travaux du théologien Thomas Torrance et du philosophe des sciences Michael Polanyi. Une réflexion sur l’articulation entre foi et raison qui bouscule autant l’épistémologie (savoir comment l’on connait) que notre regard sur la théologie naturelle traditionnelle (la connaissance de Dieu par la raison) et qui intéressera autant un public croyant que non-croyant.

En Video

Les autres vidéos du colloque sont disponibles ici.

Plan

Introduction (mon parcours, les auteurs qui m’ont inspirés et le contexte)

  1. la notion biblique de la foi
  2. Connaissance et croyance en science
  3. La connaissance de Dieu

CL

INTRODUCTION

Mon parcours

Mini CV (voir Vidéo)

Savoir d’où l’on parle

Il est toujours bon de savoir à partir d’où l’on parle

Présentation rapide du modèle des quatre catégories de relation entre science et foi : Conflit – séparation – convergence – dialogue / complémentarité.

L’exposé se situe dans la perspective du dialogue ou de la complémentarité entre les domaines de la science et de la foi.

2 ressources pour aller plus loin sur ce sujet :

Les auteurs

Les deux auteurs dont nous allons présenter les travaux et la réflexion sont :

Thomas Torrance (1913-2007)

Théologien écossais. Généralement considéré comme le théologien britannique le plus important du 20e siècle. Certains voient en lui l’un des meilleurs interprètes de Karl Barth (dont il a été l’étudiant) dans le monde anglo-saxon. Il est surtout reconnu comme une référence en ce qui concerne le dialogue entre les sciences naturelles et la théologie chrétienne.

Michael Polanyi (1891-1976)

Est un savant Hongrois dont les contributions ont touché les domaines de la physique, la chimie, l’épistémologie religieuse et la philosophie des sciences. Il a été récompensé pour ses travaux scientifiques et sa défense de la liberté scientifique dans ses ouvrages en sciences sociales et en économie.

Contexte et objectif

Cet exposé est un condensé d’une conférence grand public donné par Thomas Torrance et tiré de son ouvrage

  • Belief in Science and in Christian Life, Eugene (Oregon), Wipf & Stock Publishers, 1998.

Ce livre regroupe une série d’articles supervisée par Torrance  sur le rôle de la croyance et dont l’objectif est de montrer la pertinence de la pensée de Michael Polanyi pour la foi chrétienne.

Il ne s’agit pas ici d’aborder le sujet sous l’angle de la dichotomie entre la connaissance en science et la croyance de la vie chrétienne, mais plutôt sous celui de la croyance qui pourrait unir science et vie chrétienne !

Torrance en s’appuyant sur Polyani définit un cadre général pour la croyance (c’est aussi le titre de son exposé).

Il s’agit de montrer la cohérence d’un discours théologique tiré de la Bible avec « le monde réel ».

Torrance veut montrer, à partir de Polanyi, comment la compréhension du fonctionnement de la connaissance scientifique nous permet d’appréhender la connaissance théologique, et comment l’on parvient à une connaissance de Dieu.

Torrance ne cherche pas à établir les preuves de l’existence de Dieu, il met en œuvre avec efficacité la possibilité de relever les similitudes méthodologiques qui peuvent exister entre les domaines de la science et de la théologie dans une perspective de dialogue.

Abordons maintenant les 3 parties de son développement

1.   La notion biblique de la foi

Foi, vue et démonstration

Dans la pensée hébraïque, le Dieu invisible et éternel est la réalité dominante avec laquelle nous avons à faire. L’accent était mis sur la parole et l’ouïe donnant ainsi la primauté à la foi sur la vue dans le processus de connaissance de l’être divin.

Pour Torrance, le Nouveau Testament prolonge la  tradition de l’Ancien Testament sur la croyance ou la foi

Jésus a souvent appelé à croire en son message et en la Parole de Dieu qu’il incarnait, il a constamment souligné la primauté de la croyance sur la vision. On se souviendra notamment de cette parole du Jésus ressuscité à Saint Thomas :

 Parce que tu m’as vu, tu as cru ; heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.

Soulignons aussi dans la même veine, son refus de donner aux foules une démonstration ou une preuve de sa filialisation divine.

Torrance précise bien que les signes miraculeux dont témoignaient Jésus n’étaient pas absolument étrangers avec le fait de le faire connaître, mais en se focalisant sur les signes, les gens se détournaient du Dieu véritable qui ne peut être connu que par l’obéissance croyante.  C’est pourquoi, Jésus insistait pour confronter les personnes à la puissance de la vérité qui seule peut rendre libre.

On peut renchérir cette compréhension biblique de la foi par Torrance en citant un autre passage de l’évangile. Dans Luc 16, Jésus se réfère à l’au-delà en racontant l’histoire d’un riche et d’un pauvre nommé Lazare qui se retrouvent après leur mort dans ce lieu symbolisé par le sein d’Abraham.

27 Le riche dit : Je te prie alors, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père, 28  car j’ai cinq frères. Qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture. 29  Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. 30  L’autre reprit : Non, Abraham, mon père, mais si quelqu’un vient à eux de chez les morts, ils se convertiront. 31  Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus.

Luc 16-27-31 (TOB)

Nous voyons ici aussi que même un miracle, une preuve comme la résurrection d’un mort ne suffirait pas à certaines personnes selon Jésus à les convaincre. Il les renvoie à l’écoute de la Parole de Dieu (Moïse et les prophètes). L’attitude de cœur prévaut sur tout ce que nous pourrions voir de Dieu pour le connaître.

Torrance souligne enfin que l’on retrouve le même type d’orientation chez Paul. « nous marchons par la foi et non par la vue » (2 Co 5, 7). La croyance se réfère à une réalité cachée et donc invisible qui nous est accessible par le biais de la parole. C’est parce que Dieu se révèle à nous que nous pouvons croire en Lui. On ne croit pas en Dieu sur la base de quelque chose d’extérieur  à sa propre autorévélation.


 La foi, véritable connaissance

Voici le point majeur du développement de Torrance :

si la notion biblique de la foi tend à opposer la vue à la foi, il n’en demeure pas moins que toujours selon la Bible, la foi est l’assurance d’une véritable connaissance. Et c’est même là que nous trouvons le fondement, la source de toute rationalité.

Car la foi s’appuie sur la réalité ultime de Dieu lui-même qui est plus véritablement connaissable que toute autre réalité et qui, bien qu’il ne puisse être démontré à partir d’aucun autre motif inférieur à lui-même, constitue le fondement sur lequel repose toute connaissance véritablement rationnelle.

T. Torrance, Belief in Science and in Christian Life, p. 3.

Torrance inverse donc le schéma populaire d’une foi conçue comme une croyance proche de la superstition, renvoyant à des éléments vides ou projetés par l’esprit humain. Conception que l’on oppose souvent à la démarche scientifique basée sur la raison et la falsification.

Torrance montre deux choses qui peuvent être intéressantes à relever,

  1. la foi chrétienne ne renonce pas à son statut de croyance qui ne marche pas par la vue,
  2. mais elle trouve son fondement dans la source même de toute connaissance et de toute rationalité (la réalité de Dieu lui-même), en cela elle ne s’oppose pas à la raison.

Torrance insiste en suivant l’apôtre Paul pour affirmer que l’on n’appréhende pas les choses qui sont dans le monde comme celles de Dieu. La nature divine étant Esprit, nous ne pouvons discerner sa réalité transcendante et sa vérité que spirituellement.

Ce que dénonce Paul c’est l’incapacité d’une raison autonome à pénétrer la réalité ultime de Dieu.

La foi au contraire dépend et se laisse saisir par cette réalité afin de nous libérer de toutes idées préconçues ou de nos erreurs, elle émane de la propre volonté de Dieu. C’est en ce sens que Paul peut dire que dans la fidélité et la fiabilité inébranlables de la vérité et de l’amour de Dieu nous avons été saisis en Jésus-Christ.

Torrance peut conclure :

 La foi ne repose pas sur la faiblesse du croyant, mais sur la puissance et la constance de son objet divin. 

p. 19

Critique de la théologie naturelle traditionnelle

Dans sa lecture du NT, Torrance veut montrer  que seule la foi qui a saisi la réalité de Dieu est à même d’éclairer la raison, elle ne s’oppose pas à la raison, mais le cheminement inverse d’une raison autonome et livrée à elle-même qui conduirait à Dieu (en tout cas au Dieu vrai de JC) et à la foi ne parait pas biblique à Torrance.

Il s’agit ici d’une critique de l’approche traditionnelle de la théologie naturelle où l’on pourrait délibérément s’élever vers Dieu par nos propres efforts.

Torrance développe largement comment la théologie et la philosophie se sont emparées de ce sujet au cours de l’histoire (mais ce n’est pas le sujet de notre exposé).

Connaissance et croyance en science

Critique du rationalisme, de l’idéalisme et du positivisme

La pensée générale du début du XXe siècle (influence de John Locke et des lumières) est que la croyance est réduite à un état de subjectivité et séparée de la connaissance. Or dans la science fondamentale, la situation commence à évoluer.

Torrance se livre à une critique du positivisme qui, comme l’idéalisme, estime que la réalité des choses est inaccessible à l’esprit humain, et affirme également que seule l’expérience des faits peut fournir une expérience « positive » pour notre connaissance.

Or pour Torrance, une démarche qui cherche à dériver nos concepts directement à partir de l’expérience trahit une manière de penser qui repose sur un ensemble de principes qui sont présupposés. Mais au-delà de ces difficultés, Torrance parle d’une impossibilité,

car il n’existe pas et ne peut exister de pont logique entre les idées et l’existence.

p. 76.

Qu’est-ce qui nous autoriserait en effet à relier un concept quelconque plutôt qu’un autre à une expérience de l’existence par le seul biais de notre logique et à lui donner un caractère universel et vrai ?

Torrance ne nie pas qu’il existe bien une corrélation même profonde entre les concepts et l’expérience puisque la science peut opérer avec, mais il ne s’agit pas d’un lien direct établi par la logique, il s’agit plutôt d’une réalité ontologique c-a-d intrinsèque à l’univers, suivant Einstein, le théorique et l’empirique sont pour Torrance intimement imbriquées dans la nature. En effet, la science ne prétend pas avoir découvert les structures de la réalité au moyen de la logique, elle a néanmoins mis au point des méthodologies qui lui permettent d’élaborer des théories et de tester leur cohérence avec le monde empirique.

De l’importance de la croyance dans une science réaliste

La science moderne est devenue foncièrement réaliste en tout cas dans le domaine de la physique.

Dans la conception scientifique et idéaliste de Newton, le temps était traité comme un paramètre géométrique externe qui ne faisait pas partie du contenu matériel de la loi physique énoncée. Il le traitait de la même manière qu’on peut le faire en logique traditionnelle.

Cela a pu emmener la physique jusqu’à un certain stade, mais Einstein a montré dans sa théorie de la relativité que tous les corps en mouvement étaient définis par un lien indéfectible de l’espace-temps. Cela veut dire que la matière/énergie qui compose l’univers a une histoire. Cette dimension temporelle qui concerne la structure de l’univers est intiment liée à la matière qui le compose et justifie donc le fait d’apparaître dans les équations des lois de la physique. 

Pour Einstein, la réalité objective est atteignable par la connaissance scientifique grâce à ses fondement ontologiques c-a-d ancrée dans la nature même des choses que nous cherchons à découvrir. Pour Torrance, Polaniy a bien montré comment Einstein insistait sur la manière dont s’articulent croyance (au sens générique, non pas croyance réduite à un sens religieux) et connaissance :

Il [Einstein] a insisté sur le fait que nous devons reconnaître à nouveau la croyance ou l’appréhension intuitive comme la source de connaissance d’où naissent nos actes de découverte, car c’est dans la croyance que nous sommes en prise directe avec la réalité, dans la croyance que nos esprits sont ouverts au domaine invisible de l’intelligibilité indépendante de nous-mêmes, et par la croyance que nous confions nos esprits à la nature ordonnée et fiable de l’univers.

p. 9.

La connaissance de Dieu

Pas de connaissance sans croyance

En montrant qu’il n’existe pas de connaissance sans croyance, Torrance veut indiquer qu’il n’existe pas de différence fondamentale entre une connaissance théologique et scientifique puisque cette connaissance repose sur un même fondement, celui du rapport de la foi à la réalité.

Les croyances fondamentales sans lesquelles toute entreprise scientifique serait vaine sont aussi appelées croyances ultimes par Torrance.

 Elles affirment que : l’univers existe, il est ordonné et intelligible.

Pour Torrance, Einstein a montré que dans toutes nos activités scientifiques, nous avons (citation d’Einstein). « une foi inébranlable dans la nature rationnelle des choses » c’est-à-dire l’assurance d’un ordre dans l’univers sans pouvoir le démontrer, mais il faut aussi croire que nous pouvons saisir la réalité du monde (c’est-à-dire qu’il nous est intelligible) sans quoi toute recherche s’avère même inutile. Aucune intelligence ne peut procéder sans ces mécanismes de croyance ultime.

Ainsi pour Torrance, la réalité du monde qui se révèle ainsi à nous, nous impose de constater que la rationalité et la foi sont intrinsèquement liées l’une à l’autre. L’opposition que l’on fait parfois des deux ne correspond pas à la démarche qui permet à la science moderne de progresser. Car c’est le cadre de ces croyances contraignantes qui coïncide avec la réalité du monde (sans pourtant que nous puissions le démontrer).

Croyance et objectivité

Dans une relation, Le pôle subjectif est la personne qui connaît, croit et agit, et le pôle objectif est « l’autre ».

Le processus de connaissance décrit la faculté d’entrer en relation avec le pôle objectif c-a-d avec une réalité extérieure ou indépendante de nous-mêmes et de pouvoir nous occuper de ce qu’elle signifie à partir d’elle-même.

Quand nous lisons un livre par exemple notre attention ne se fixe pas sur les lettres couchées sur le papier, mais nous nous occupons de ce à quoi les phrases  se réfèrent au-delà, car c’est dans cette référence objective que réside leur signification. Pour Polanyi, c’est dans cette relation objective que nait la croyance. Par une sorte d’obéissance, d’écoute, l’esprit humain se rend  accessible à la réalité.

On ne peut donc pas dire que la croyance soit irrationnelle ou aveugle, car elle est plutôt comme un acte de reconnaissance élémentaire par lequel nos esprits répondent à la structure inhérente du monde qui nous entoure et qui s’imprime sur eux. C’est comme cela par exemple explique Polanyi que des motifs géométriques apparaissent dans notre esprit lorsque nous percevons des formations cristallines dans les roches.

Connaissance et connaissance de Dieu

Pour Torrance, on peut faire un parallèle entre le statut de la croyance dans la connaissance scientifique et celui qu’elle occupe dans notre connaissance de Dieu.

La foi chrétienne exprime des croyances fondamentales (comme il en existe en science) non démontrables.

Torrance donne 2 exemples : croire que Dieu est amour et qu’il est la source créatrice de tout ordre dans l’univers.

Pour Torrance ces convictions naissent en nous quand nos esprits font acte d’écoute et entrent dans un processus de reconnaissance de la réalité divine.

Bien sûr il existe des différences entre une croyance scientifique et une croyance religieuse, mais Il ne s’agit pas ici d’affecter la croyance au domaine religieux et la connaissance à la démarche scientifique mais plutôt de reconnaitre le rôle de la croyance comme fondement de toute connaissance humaine. 

La différence se fait en fonction de l’objet d’étude, la nature de nos convictions change en fonction du pole objectif de la relation, si c’est une personne, elle revêt un caractère personnel et non impersonnel, et se tourne vers la confiance.

Le type d’intelligibilité que nous renvoie le monde qui nous entoure dont les réalités sont quantifiables et déterminées peut se traduire en nombre par les mathématiques. Mais lorsque le pôle objectif est le Dieu créateur, le type d’intelligibilité qui s’impose alors à nous n’est pas le nombre mais plutôt la parole, notre relation avec lui ne peut être qu’une relation de révérence dans laquelle nous regardons vers le haut vers quel chose qui nous dépasse.  C’est la foi qui permet un contact réel avec la réalité de Dieu et qui prend la forme appropriée d’une reconnaissance qui se tourne en adoration.

Ces différences entre croyances scientifiques et religieuses sont importantes à souligner, mais Torrance nous ramène à leur point commun,

la croyance (religieuse comme scientifique) nous permet de saisir la réalité, c’est elle qui donne à notre esprit d’être en contact avec la réalité dans un acte fondamental de reconnaissance cognitive.

 En cela elle constitue le fondement même de la connaissance.

Conclusion

Le temps nous manque pour prolonger la discussion, voir par exemple comment s’élabore une théorie scientifique ou une doctrine religieuse, comment faire le tri entre vraies et fausses croyances, évoquer la liberté de croire ou de ne pas croire,

Nous avons néanmoins vu que pour Torrance :

  • Si la foi Biblique ne repose pas sur la vue, elle s’appuie sur une réalité cachée, la réalité ultime de Dieu lui-même et constitue le fondement d’une véritable connaissance.
  • Connaissance scientifique et connaissance de Dieu ne sont pas fondamentalement différentes, c’est la nature de l’objet connu qui donne à la relation un type d’intelligibilité différent, mais le processus de connaissance s’opère toujours dans un cadre dont on ne peut extraire la croyance ou la foi (Polanyi parle du cadre fiduciaire de la connaissance).

Pour aller plus loin :

Voir lectures

Nota Bene

La partie finale de la vidéo (questions/réponses avec l’auditoire) n’est pas retranscrite dans cet article.