Article 7 sur un total de 7 pour la série :
Congrès Bible et science Mulhouse 2022 le point sur l'âge de la terre
Cristal de zircon observé au microscope électronique à balayage. Crédit illustration : ManuRoquette / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0.
Introduction : Le but de cet article
(Par Marc Fiquet, Responsable éditorial Science & Foi).
Notre objectif est de donner des clés de compréhension au grand public et aux membres des églises non versés en science pour apprendre à faire le tri dans la masse d’informations qui circule dans nos communautés ou dans l’espace numérique.
Nous passons en revue ici les données du congrès Bible et science 2022 de Mulhouse, dont l’invité principal John BAUMGARDNER, Docteur en géophysique de l’Université de Californie est présenté comme un membre actif du Projet RATE (Radioisotopes and the Age of Earth).
Bien qu’il soit constitué de chercheurs qualifiés, il s’agit bien d’un groupe autofinancé de créationnistes cherchant à prouver l’âge jeune de la terre pour faire correspondre leurs découvertes avec leur conception personnelle de la création (voir la manière dont le site créationniste jeune terre Answers in Genesis présente fièrement ce projet en l’associant au créationnisme scientifique !). Vincent Breton va nous expliquer pourquoi les recherches du projet RATE ne sont pas reconnues par la communauté scientifique en dehors de son propre cercle et pourquoi donc les scientifiques du monde entier – exception faite de ces petits groupes isolés – font confiance aux méthodes de datation radiochronologique pour aboutir à un âge en milliards d’années concernant la Terre.
Pour mémoire, la radiochronologie est une méthode de datation basée sur la radioactivité des éléments dont on cherche à déterminer l’âge.
Si vous avez besoin de comprendre le vocabulaire de la physique utilisé dans cette série d’articles comme radioactivité, isotope, proton, neutron… Voici une vidéo très bien faite et accessible à tous sur la chaine YT Science Étonnante
Je laisse la place à Vincent…
L’une des objections soulevées par le groupe de travail créationniste RATE pour critiquer la datation des roches très anciennes est une sombre histoire de diffusion de l’hélium dans les cristaux de zircons…
Dit comme ça, cela paraît très technique, mais on va essayer de tout vous expliquer 😀
Petit rappel sur la datation radiochronologique
Nous avons vu dans un article précédent que la datation en géologie reposait sur un consensus qui s’était construit progressivement entre des méthodes issues de disciplines scientifiques distinctes (archéologie, dendrochronologie, géochimie, palynologie, physique, ,…)[1].
Seules les méthodes de datation radiochronologique permettent de dater des roches ou des évènements très anciens, au-delà de 10 millions d’années. Elles reposent sur la mesure de l’abondance relative de 2 éléments, l’un que l’on va baptiser Père et l’autre que l’on va baptiser Fils parce qu’il est produit par la désintégration radioactive de son Père ([2] ou vidéo citée en introduction).
La désintégration des radioéléments agit comme une horloge
Le Père est un noyau instable qui se désintègre spontanément dans le noyau Fils en émettant différents types de rayonnement. Prenons l’exemple du noyau d’Uranium 238, formé de 92 protons et de 146 neutrons. Si je prends 1 gramme d’uranium 238 que je place dans un coffre-fort, il faudra 4,468 8 milliards d’années, soit à peu près l’âge de la Terre, pour que la moitié des noyaux d’uranium se désintègre. Si j’ouvre le coffre-fort dans 4,468 8 milliards d’années, il ne restera plus que 0,5 grammes d’uranium 238 et 0,5 grammes de Plomb 206, formé de 82 protons et 124 neutrons, produit de la désintégration de l’Uranium 238. A n’importe quel moment, je peux mesurer le temps depuis lequel le gramme d’uranium a été placé dans le coffre-fort en calculant le rapport 206Pb/238U de la masse de plomb 206 divisé par la masse d’uranium 238.
Si au lieu de mettre de l’Uranium 238 dans le coffre-fort, je mets un gramme d’Uranium 235, formé de 92 protons et de 146 neutrons, il « suffira » de 703,8 millions d’années pour que la moitié de l’uranium 235 devienne du Plomb 207, formé de 82 protons et 125 neutrons. Je pourrai aussi mesurer le temps depuis lequel le gramme d’uranium 235 a été placé dans le coffre-fort en calculant le rapport 207Pb/235U de la masse de plomb 207 divisé par la masse d’uranium 235.
Ces horloges radioactives peuvent servir à dater la formation d’éléments comme les roches qui composent la Terre
Imaginons maintenant qu’en fait de coffre-fort, ce soit une roche qui au moment de sa formation dans les entrailles de la terre contient de l’Uranium. Lorsque la roche refroidit, l’Uranium est pris au piège des mailles cristallines et ne peut plus s’échapper. Il va lentement se désintégrer en se transformant en plomb. Si je mesure aujourd’hui le rapport de la quantité de plomb divisé par la quantité d’uranium dans cette roche, je vais pouvoir en déduire l’âge de sa formation. Du fait de la présence simultanée d’Uranium 235 et d’Uranium 238 dans le minerai d’uranium naturel, je vais même disposer de 2 horloges indépendantes avec les rapports 206Pb/238U et 207Pb/235U.
Une histoire d’hélium et de zircons…
C’est précisément ce principe qui est appliqué pour dater des roches très anciennes, plus précisément des inclusions minuscules à l’intérieur de ces roches, les zircons.
Les zircons sont des silicates de zirconium de formule ZrSiO4. Les cristaux de zircons font partie des pierres fines de la joaillerie. Ce qui fait leur intérêt unique pour la datation des roches anciennes, c’est leur résistance exceptionnelle à des températures et pressions élevées. Ainsi, les cristaux de zircons sont les plus anciens témoins minéraux terrestres connus sous forme de grains inclus dans des roches plus récentes. En effet, les vestiges de la croûte terrestre originelle sont très rares parce que le matériau de la croûte est généralement recyclé plusieurs fois dans l’intérieur de la Terre depuis sa naissance, sous l’effet de la tectonique des plaques.
En plus de sa résistance à des températures et pressions élevées, l’autre propriété exceptionnelle du zircon est qu’il contient fréquemment des impuretés et divers corps ou minéraux sous forme d’inclusions. Les zircons des granites contiennent presque toujours de l’uranium, par la substitution dans la maille cristalline d’atomes de zirconium par des atomes d’uranium de dimensions similaires. Le plomb ne peut intégrer le réseau cristallin du zircon au moment de sa formation. Le plomb mesuré dans celui-ci provient donc uniquement de la désintégration radioactive de l’uranium et les rapports 206Pb/238U et 207Pb/235U vont me donner une information sur l’âge du zircon, c’est-à-dire le temps écoulé depuis que le zircon a cristallisé.
On a ainsi découvert et daté des roches très anciennes de plus de 4 milliards d’années. Dans certaines roches vieilles de 3,7 milliards d’années découvertes au Groenland, on a trouvé des traces de vies correspondant à l’activité de colonies de microorganismes.
L’horloge radioactive n’aurait-elle pas du plomb dans l’aile ?
Le lecteur attentif pourrait se demander comment il est possible de savoir que la roche, au moment de sa formation, ne contenait pas de plomb ce qui fausserait les proportions donc les mesures de datation.
Dans les roches, les zircons se présentent sous forme de cristaux de quelques centaines de microns. On en trouve même sous forme de grains transportés et charriés par l’érosion dans des sédiments beaucoup plus récents que le zircon lui-même. Le plomb ne pénètre pas à l’intérieur des zircons au moment de sa formation, il reste dans la roche qui entoure le zircon.
Il existe un moyen expérimental de vérifier qu’il n’y a pas de contamination par du plomb au moment de la formation du zircon. Si du plomb se glisse dans le zircon, il s’agit de plomb naturel. Le plomb naturel est composé de 4 isotopes: 204Pb (1.4 %), 206Pb (24.1 %), 207Pb (22.1 %), et 208Pb (52.10 %). 204Pb est non-radiogénique et stable tandis que les 3 autres sont produits par les produits des chaînes de désintégration de l’uranium (238U et 235U) et du thorium (232Th),
La quantité de 204Pb que l’on va mesurer avec un spectromètre de masse dans un zircon nous indique dans quel mesure du plomb naturel a pu pénétrer dans le zircon, soit à sa formation , soit entre sa formation et aujourd’hui. Connaissant la quantité de Pb204, on corrige les quantités de Pb207 et de Pb206 issus de la décroissance respectivement de 235U et 238U.
La contestation émise par le PROJET de recherche créationniste RATE
La validité des datations radiochronologiques fournies par les zircons a été remise en cause par les tenants d’un âge jeune de la terre. Leur objection repose sur la quantité d’hélium et de plomb mesurées dans des zircons anciens prélevés à différentes profondeurs dans des carottes forées au Nouveau Mexique pour des études géothermiques et conservées au laboratoire de Los Alamos[3] [4].
L’hélium dans les zircons provient de la désintégration radioactive des noyaux d’uranium. Comme l’hélium est un gaz, il sort du zircon plus facilement que l’uranium ou le plomb. Tout l’hélium produit par la décroissance de l’uranium est évacué jusqu’à ce que la température du zircon descende en-dessous d’environ 170° Celsius, tandis que le plomb reste piégé en-dessous de 800°C[5]. A des températures inférieures à 170°C, l’hélium reste essentiellement piégé mais continue de diffuser faiblement. Le contenu en hélium va donc apporter une information sur l’histoire thermique du zircon pas sur son âge de formation. Cette histoire thermique peut être riche et complexe car de nombreux phénomènes géologiques mettent en jeu des pressions et des températures élevées.
Les arguments avancés par les tenants d’un âge jeune de la terre pour remettre en question la datation radiochronologique des zircons de plusieurs forages géothermiques au Nouveau Mexique s’appuient sur l’observation d’une concentration en hélium beaucoup trop élevée dans certains zircons, interprétée comme la preuve qu’ils ne peuvent être aussi vieux – 1,5 milliards d’années – que la datation Pb/U l’indique. Fort de ce constat, le programme de recherche créationniste RATE (Radioisotopes and the Age of The Earth) a proposé un modèle de terre jeune permettant de reproduire les concentrations d’hélium mesurées. Ce modèle introduit la notion d’accélération des désintégrations nucléaires pendant la période du déluge.
Pourquoi le travail du projet RATE ne permet pas une remise en cause de la datation radiochronologique et n’apporte pas d’éléments scientifiques en faveur d’une terre jeune
Une telle accélération est indispensable pour essayer de réconcilier l’hypothèse d’une terre jeune de 6000 ans avec les données géologiques. Rappelons dès à présent qu’une telle accélération est exclue par les observations faites sur les réacteurs nucléaires naturels d’Oklo qui confirment l’invariance des lois de la physique nucléaire sur 2 milliards d’années (voir notre article dédié à ce sujet) [6].
Le travail de l’équipe RATE sur la diffusion de l’hélium dans les zircons a fait l’objet de contre-analyses très approfondies (voir par exemple [5 – 7]). Celles-ci montrent que l’argumentaire s’appuie d’abord sur une interprétation erronée des données expérimentales publiées en 1982. De plus, les expériences conduites par le groupe RATE pour mesurer expérimentalement le coefficient de diffusion de l’hélium dans le zircon ont aussi été critiquées pour leur méthodologie.
Finalement, les hypothèses introduites dans les modèles proposés pour réconcilier les données avec l’hypothèse d’une terre jeune de 6000 ans sont aussi questionnables[7]. Au bilan, un modèle en accord avec l’âge géologique obtenu à partir de la datation Pb/U rend compte de façon pleinement satisfaisante de la quantité d’hélium mesurée dans les cristaux de zircons de ces forages.
Le modèle alternatif proposé par l’équipe RATE reproduit des données mal interprétées en s’appuyant sur des hypothèses qui soulèvent des problèmes insolubles : si par exemple les réactions nucléaires ont été accélérées de plusieurs ordres de grandeur pendant une certaine période de l’histoire de la Terre, toute vie sur Terre dans cette période est impossible parce que le potassium 40 au cœur de tous les êtres vivants irradie ces organismes à des niveaux incompatibles avec la vie. Le potassium 40 est un noyau radioactif formé de 19 protons et de 21 neutrons qui représente 0,01167% du potassium naturel, élément indispensable à la vie.
CONCLUSION :
Comment faut-il comprendre le phénomène de diffusion de l’hélium dans les Zircons soulevé par le projet RATE ?
Les zircons constituent une source précieuse d’informations sur l’histoire géologique de la terre depuis sa formation, grâce aux techniques de datation radiochronologique. La diffusion de l’hélium dans les zircons apporte une information supplémentaire sur l’histoire thermique des zircons mais pas sur le temps écoulé depuis leur formation. L’étude de la terre primitive est aujourd’hui extrêmement intense afin de comprendre les conditions d’apparition de la vie.
En vidéo
NOTES
[1] https://scienceetfoi.com/peut-on-faire-confiance-aux-methodes-de-datation-geologique/
[2] Cours en ligne des Rencontres Exobiologiques pour Doctorants (2012)
Vidéo en anglais : https://youtube.com/watch?v=NSN84cZxWTk&feature=shares
[3] Differential Helium Retention in Zircons:Implications for Nuclear Waste Containment, Geophysical Research Letters, Vol. 9, No. 10, Pages 1129-1130, October 1982., https://doi.org/10.1029/GL009i010p01129
[4] Differential Lead Retention in Zircons:Implications for Nuclear Waste Containment, Science, 16 April 1982, Vol. 216, pp. 296-298.
[5] https://www.asa3.org/ASA/education/origins/helium-rw.pdf (anglais)
[6] https://scienceetfoi.com/comment-sait-on-que-les-constantes-fondamentales-de-la-physiques-nont-pas-varie-au-cours-du-temps/
[7] https://www.asa3.org/ASA/education/origins/helium-gl3.pdf (anglais)
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