Article 3 sur un total de 8 pour la série :

Le ciel c'est où ?


Hasard et évolution

Ces croyants partisans de la création évolutive (voir dernier § de l’article précédent), considèrent toutefois qu’accorder au hasard mathématique la valeur d’un hasard philosophique ne peut conduire qu’à une impasse. En réponse à une question excluant toute forme de déterminisme et portant sur l’avenir de l’humanité, au regard d’une complexité évolutive qui ne cesse de progresser, le regretté Hubert Reeves répondait déjà en 1997[1] :

Je suis frappé par les deux faces de la réalité. La première montre cette belle histoire[2] que nous venons de raconter. Elle laisserait penser, en effet, que tout cela a un sens. La seconde, plus sombre, révèle l’homme d’aujourd’hui, incapable de vivre harmonieusement avec les siens et avec la biosphère. Guerres et détériorations lui sont familières. Comme si quelque chose avait cafouillé à un moment donné de l’évolution. […] Pourquoi cela marche-t-il si bien dans le monde physique et si mal dans le monde humain ? La nature aurait-elle atteint son « niveau d’incompétence » en s’aventurant aussi loin dans la complexité ? Telle serait, j’imagine, une interprétation basée uniquement sur les effets de la sélection naturelle dans l’optique darwinienne. Mais si, par ailleurs, l’évolution avait pour produit nécessaire l’apparition d’un être libre, peut-être sommes-nous en train de payer le prix de cette liberté. On pourrait résumer le drame cosmique en trois phases : la nature engendre la complexité ; la complexité engendre l’efficacité ; l’efficacité peut détruire la complexité. […] Au XXe siècle, les êtres humains ont inventé deux manières de s’autodétruire : le surarmement nucléaire et la détérioration de l’environnement. Est-ce que la complexité est viable ? Est-ce une bonne idée pour la nature d’atteindre ce niveau d’évolution qui la conduit à se menacer elle-même ? L’intelligence est-elle un cadeau empoisonné ? 

Huber Reeves

La foi comme un pari ?

Cette impasse pourrait conduire à partager le célèbre pari de Pascal, l’argumentation philosophique mise au point par Blaise Pascal et passée sous ce titre à la postérité. Pour prouver qu’une personne rationnelle a tout intérêt à croire en Dieu, le célèbre philosophe, mathématicien et physicien français du XVIIe siècle avança un argument que l’on peut résumer ainsi :

Nous n’avons pas de preuve que Dieu existe vraiment. Pourtant, nous avons tout intérêt à y croire. En effet, si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant ne perdent presque rien. Par contre, si Dieu existe, le croyant gagne tout, puisqu’il ira au paradis pour l’éternité ; tandis que le non-croyant perd tout, puisqu’il ira en enfer pour l’éternité. Il est donc plus avantageux de croire en Dieu ! 

Pascal

N’en déplaise au génie qu’était Pascal, la logique apparente de cet argument n’a de sens que pour ceux qui assimilent la foi chrétienne au fait de croire en l’existence de Dieu. Ce que Jacques dans la Bible met sérieusement en cause dans son épître, en nous confrontant à une simple évidence :

Tu crois qu’il y a un seul Dieu, tu fais bien ; les démons le croient aussi, et ils tremblent. 

Jacques 2.19

La foi comme une rencontre

Il n’est donc pas certain que croire en l’existence de Dieu soit préférable au fait de ne pas y croire : on risque tout au plus d’accroître sa culpabilité en ne vivant pas en accord avec les attentes de Dieu.

Mais le fait est là : pour le commun des mortels, être chrétien se résume à cela. Lorsque j’étais enseignant, lors de chaque rentrée académique, je demandais à mes étudiants, supposés venir de familles chrétiennes : « Pour vous, être chrétien, c’est quoi ? » Et neuf fois sur dix, j’obtenais la réponse suivante : « C’est croire en Dieu et obéir à ses commandements. » Je les laissais alors perplexes en leur disant : « Je vois que vous êtes de bons juifs ; mais il n’est pas trop tard pour vous convertir à Jésus-Christ ! »

En fait, il n’y a pas trente-six solutions : pour savoir si, oui ou non, Dieu existe vraiment, il nous faut le rencontrer en empruntant le seul chemin qui conduit à lui : Jésus-Christ !

Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. 

Jean 14.6

Sur le sort des incroyants

Se référant à cette parole du Christ, certains croyants se sentent autorisés à affirmer que tous ceux qui ne sont pas chrétiens seront voués aux flammes éternelles. Ce n’est pas ce que Jésus dit ! Il nous parle seulement de rencontrer le Père au cours de notre pèlerinage terrestre.

La Bible ne nous dit rien, ou presque, du sort éternel des incroyants ou des membres des autres religions.

Et je vis les morts, les grands et les petits, debout devant le trône. Des livres furent ouverts, et un autre livre fut ouvert, qui est le livre de vie. Les morts furent jugés d’après ce qui était écrit dans les livres, selon leurs œuvres. […] Voici, je viens bientôt, et ma rétribution est avec moi, pour rendre à chacun selon ce qu’est son œuvre. 

Apocalypse 20.12 et 22.12

En général, on n’en sait pas plus en ce qui concerne le jugement des personnes qui n’ont pas eu l’opportunité d’entendre annoncer l’Évangile au cours de leur vie.

Cependant, l’apôtre Paul semble bien considérer qu’ils ne sont pas totalement irresponsables ou innocents pour autant. En effet, même si ce n’est pas de façon aussi explicite que dans la proclamation de la « Bonne Nouvelle (grec « euaggelion », évangile) du Royaume de Dieu » et du salut en Jésus-Christ, Dieu se révèle aussi à l’humanité à travers la création.

En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans de vains raisonnements, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous… 

Romains 1.20-22

Le Dieu de Jésus-Christ est aussi le Dieu de la Nature qu’étudie la science

À propos de cet autre mode de révélation divine, Benoit Hébert[3] résume ainsi le livre de Denis Lamoureux[4] qu’il venait de traduire en français :

Denis Lamoureux propose une approche chrétienne de l’évolution, conservatrice d’un point de vue théologique. À l’aide de la métaphore des « deux livres de Dieu », la nature et la Bible, cet article envisage une relation complémentaire entre la science et l’Écriture. Le livre de la parole de Dieu, la Bible nous révèle l’aspect spirituel du monde, alors que celui des œuvres de Dieu : l’univers, nous révèle le processus divin de la création. Cette vision des origines reconnaît que la Bible a été écrite avec les connaissances conceptuelles de ses auteurs en ce qui concerne le cosmos, et rejette donc le concordisme scientifique.  De même que Dieu s’est fait homme en la personne de Jésus-Christ, le Saint-Esprit s’est adapté à la façon de penser des Hébreux du Proche-Orient ancien. L’auteur a une conception théologique traditionnelle de la révélation de Dieu dans la nature. La conception du créateur peut s’observer dans l’intelligence et la complexité de l’univers et de la vie, sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir Dieu surnaturellement à chaque fois que nous ne comprenons pas comment il s’y est pris pour créer. Les progrès constants de la connaissance scientifique nous permettent chaque jour d’avancer dans ce domaine. 

Benoit Hébert

Dès lors, les humains seraient-ils coupables de ne pas se poser de question ? Voltaire lui-même ne disait-il pas :

L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. 

Voltaire

Un monde créé est un monde qui a du sens

Remarque qui gardera toute sa pertinence, tant que l’on n’aura que le hasard à lui opposer ! De leur côté, les croyants font parfois un usage abusif de la réponse qu’Einstein fit, en 1920, à une étudiante qui lui demandait ce qu’il cherchait dans toutes ses formules complexes, et à qui il répondit : « Je cherche la pensée de Dieu ! » Bien que d’origine juive, le savant était agnostique et ne croyait pas en un Dieu personnel. Il ne faut donc pas accorder à cette boutade plus de portée qu’elle n’en a en réalité.

Cela n’empêche toutefois pas de penser que « La réalité physique dans laquelle nous vivons repose sur une structure mathématique extérieure au temps et à l’espace. »[5] Exprimée dans le langage de la foi, cela nous rappelle que si Dieu est le Créateur de l’Univers, il n’en fait pas partie ; autrement dit, Dieu est extérieur à l’Univers. De façon plus concrète encore, cela implique que Dieu existe en dehors de l’espace et le temps, puisque ce sont les deux dimensions qui définissent notre Univers.


NOTES

[1] La plus belle histoire du monde – Les secrets de nos origines, pages 175 à 177 (extraits), H. Reeves, J. de Rosnay, Y. Coppens, D. Simonnet, France Loisir 1997

[2] Hubert Reeves parle ici de l’histoire de l’évolution.

[3] Décédé subitement en 2020, à l’âge de 48 ans, Benoit Hébert fut le premier président de l’Association Science & Foi, qu’il fonda en 2011, en collaboration avec Pascal Touzet puis Marc Fiquet. Très engagé dans le ministère du Pastorat et de l’Enseignement dans son Église ADD de Valenciennes, c’est aussi dans cette ville qu’il était Professeur de Physique en Classe Préparatoire pour les grandes écoles. Pour plus de renseignements, cf. SCIENCEETFOI.COM.

[4] Evolution Creation : beyond the Evolution vs Creation Debate, Denis Lamoureux, juin 2003, révisé et modifié en 2009, traduit avec autorisation par Benoît Hébert, La création évolutive : Au-delà du débat création VS évolution – Science & Foi (scienceetfoi.com), lien copié le 18.07.2023.

[5] Je n’ai pas retrouvé l’auteur ou la référence de cette affirmation que je cite de mémoire. Mais elle correspond assez bien à la théorie du tout proposée par le cosmologue Max Tegmark, dans : The mathematical universe, Foundations of Physics, vol. 38, no 2,‎ février 2008, p. 101–150


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