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Le ciel c'est où ?


Depuis longtemps, les humains qui croient en une vie après la vie ont réalisé que le Ciel de Dieu ou des dieux n’est pas celui des oiseaux et des nuages, ni celui des étoiles et des planètes, mais devait se trouver au-delà : un troisième ciel, en quelque sorte. Dans le passage final de notre précédent article, il n’est donc pas étonnant que l’apôtre Paul utilise l’expression troisième ciel comme un synonyme de Paradis. On suppose aujourd’hui que Paul fait ici allusion à une expérience de mort cérébrale, ou de coma dépassé qu’il aurait connu à Lystre, lorsqu’il fut laissé pour mort après avoir été lapidé par les juifs. (cf. Actes 14.19)

L’univers vu par la science

Toutefois, à la lumière de l’astrophysique moderne, nous nous trouvons amenés à revoir notre façon de poser le problème de l’existence du Ciel de Dieu. Non que l’on doute que ce Ciel puisse exister en absolu. Mais, plutôt que de considérer qu’il existe ailleurs, comme on a pris l’habitude de le croire ou d’en parler, il serait sans doute plus exact de considérer qu’il existe autrement. Toutefois, pour comprendre ce changement de paradigmes, nous devons revenir un siècle en arrière.

En 1927, un Belge, l’abbé Georges Lemaître, publie un article qui démontre que l’Univers est en expansion.[1] Jusqu’alors, tout le monde, y compris Einstein, considérait qu’en dehors du mouvement des astres, l’ensemble de l’Univers était fixe et éternel. Aussi, lorsqu’en octobre de la même année, Albert Einstein rencontre le jeune abbé en marge du cinquième congrès de physique Solvay qui se tient à Bruxelles, ce dernier lui demande ce qu’il pense de ses écrits. Einstein, qui avait lu l’article, le complimente pour le traitement mathématique de son mémoire, mais ajoute que d’un point de vue physique, celui-ci lui parait tout à fait abominable. Cependant, le grand savant qu’était Einstein ne tardera pas à reconnaître que Georges Lemaître avait raison : l’Univers est bien en expansion. Si bien que notre galaxie – la Voie Lactée –, son système solaire et la Terre ont bien connu un commencement au cours de cette expansion.

La question de l’origine

Depuis lors, on a suggéré que l’origine de notre Univers remonte à une grande singularité quantique – appelé ironiquement « big-bang » – qui a eu lieu il y a quelque 13,8 milliards d’années. [2] Par la suite, l’expansion de l’Univers a connu une accélération constante. Il semble aussi certain – bien que ce soit discuté – que le temps et l’espace aient commencé en même temps que cette singularité quantique dont la nature fait toujours l’objet de diverses théories. Notre Univers en expansion est-il l’objet d’un rebond, fait-il partie d’un multivers, se trouve-t-il au sein d’un immense trou noir… Les hypothèses se multiplient. Toutefois, quelle que soit l’explication de l’origine de notre Univers, la question de savoir ce qu’il y avait avant lui demeurera et ne fera que reporter le problème, encore et encore. Tant et si bien que la question de l’ultime origine de ce qui existe, plutôt que le néant, continuera de fasciner les scientifiques, les poètes, les philosophes et les théologiens. Ce qui contribuera aussi à alimenter des spéculations où la physique rejoint souvent la métaphysique, voire la philosophie ou la religion.

Les croyants monothéistes font évidemment partie de cette dernière catégorie, attribuant cette origine à Dieu comme au souverain Créateur de l’Univers et de tout ce qui pourrait exister. Encore qu’à regarder le Texte biblique de plus près, celui-ci ne parle pas de l’Univers, dans le sens moderne de ce terme, mais seulement de la Terre et du ciel ; et de tout ce qui les peuple : les végétaux, les animaux marins et terrestres, les oiseaux et les astres. Cela devrait logiquement limiter l’univers biblique au monde perçu de façon naturelle – c’est-à-dire sans techniques sophistiquées – par les êtres humains : le système solaire et, tout au plus, la Voie Lactée.

« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. […] Dieu dit : Qu’il y ait des astres dans l’étendue céleste, pour séparer le jour et la nuit ; que ce soient des signes pour (marquer) les temps, les jours et les années ; que ce soient des astres dans l’étendue céleste pour éclairer la terre. Il en fut ainsi. Dieu fit les deux grands astres, le grand pour dominer sur le jour, et le petit pour dominer sur la nuit ; il fit aussi les étoiles. Dieu les plaça dans l’étendue céleste, pour éclairer la terre, pour dominer sur le jour et sur la nuit, et pour séparer la lumière d’avec les ténèbres. Dieu vit que cela était bon. » [3]

(Genèse 1.1 et 14-18)

Différentes orientations théologiques

Anciennement, la plupart des croyants juifs, chrétiens et musulmans lisaient la Bible – l’Ancien et le Nouveau Testament – ou le Coran de façon littérale. Aujourd’hui, ces créationnistes persistent dans une lecture au premier degré des textes sacrés et restent convaincus d’une création qui se serait faite ex nihilo, de façon quasi instantanée, il y a plus ou moins six mille ans.

Pour leur part, les croyants concordistes – y compris les adeptes de l’« intelligent design » – acceptent la longue durée de l’âge de l’Univers, mais ils considèrent que Dieu est constamment intervenu par des miracles qui expliquent les points où la science se trouve encore hésitante. C’est donc Dieu qui aurait conduire la création et l’évolution des différentes espèces, en particulier pour créer l’homme, qui a fait l’objet d’un traitement privilégié.

Plus récemment, certains croyants, partisans de l’évolution théiste ou création évolutive, furent aussi – et souvent de façon abusive – classés parmi les concordistes. Mais la plupart récusent cette assimilation, dans la mesure où ils reconnaissent que Dieu est bien le Créateur du point de vue de la foi – particulièrement biblique – mais « seulement » en tant qu’incomparable Concepteur. Existant avant l’Univers, en dehors de l’espace et du temps, c’est lui qui a défini les lois mathématiques et physiques qui ont présidé à la mise et place de l’Univers et à la conduite de l’évolution de toutes les espèces biologiques. Dans cette perspective, ces croyants acceptent le consensus scientifique actuel – bien que susceptible d’évoluer – y compris en ce qui concerne le rôle que le hasard a pu jouer et continue de jouer.


Notes

[1] Deux ans après Georges Lemaître, en 1929, l’Américain Edwin Hubble confirmera l’expansion de l’Univers. L’histoire retiendra surtout le nom de Hubble, lui attribuant cette découverte ainsi que la loi cosmologique qui la décrit. Quoi qu’il en soit, cette découverte a relancé scientifiquement la question de l’origine d’un Univers que l’on avait toujours cru éternel et statique.

[2] Les sciences qui étudient l’origine de l’Univers connaissent une limite appelée le mur de Planck. Il se situe à 10-43 secondes (1 seconde divisée par le nombre 10 suivi de 42 zéros !) après le début de l’expansion. Actuellement, personne ne peut dire ce qui s’est passé pendant l’ultrabrève période qui s’est écoulée entre l’instant zéro (début théorique supposé de l’expansion) et ce temps de 10-43 secondes. Appelée l’Ère de Planck, cette infime portion de temps constitue une limite, à propos et au-delà de laquelle la science n’a plus rien à dire. D’autant plus que la relativité générale et la mécanique quantique ne fonctionnent pas du tout ensemble. Pour concilier les deux, il faudrait inventer une physique, unifiée, à laquelleles meilleurs travaillent. La théorie des cordes a ouvert une fenêtre intéressante, mais elle pourrait ne pas être la seule. De plus, quand on aura compris comment notre Univers fonctionne, cela ne nous dira toujours pas pourquoi – ni pour quoi – il y a quelque chose plutôt que rien.

[3] Pour mémoire, le texte biblique envisage l’univers dans le cadre des cosmologies antiques, notamment égyptiennes et babyloniennes. Dans cette perspective, la terre était plate comme une pizza, où s’étalaient les océans, la terre et les montagnes. Cet ensemble était recouvert par l’hémisphère de la voûte céleste, une sorte de cloche à fromage où circulaient les astres : le soleil, la lune et les étoiles. Il s’avère donc très hasardeux d’assimiler cet univers-là à ce que nous appelons aujourd’hui l’Univers, surtout pour en tirer des conclusions d’ordre scientifique. Par contre, du point de vue religieux, le message de la Genèse est clair : c’est Dieu qui est à l’origine du monde dans lequel l’homme est venu à l’existence. Elle ne parle pas du reste. Mais pour les croyants, si la Bible présente Dieu comme le Créateur de ce monde restreint, c’est parce qu’il l’est aussi de tout le reste de l’Univers et même au-delà de lui, avant lui et après lui.


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